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Education populaire : le Ravi expérimente le journalisme participatif
Education populaire 

Education populaire : le Ravi expérimente le journalisme participatif

actualisé le 01/02/2021 à 14h39

Le mensuel satirique de la région PACA annonce une bonne nouvelle comme le santon dont il porte le nom. Aux jeunes des MJC, aux habitants des quartiers, dans les centres sociaux, il démontre qu’ils ont les moyens de s’emparer d’un média. Par l’éducation populaire.

« Nous on est juste des mamans et Le Ravi nous a donné les clefs pour faire un journal », raconte, fière, Saloua Moussaid.

Depuis 2016, elle a participé à plusieurs ateliers presse qui se sont déroulés au centre social La Croix des Oiseaux, à Avignon. Elle a aussi participé au supplément du journal, « La culture c’est pas du luxe ! », paru en septembre 2018. La quarantenaire se souvient avec émotion de « l’ambiance de groupe » et regrette le chef d’orchestre de cette aventure : le journaliste du Ravi Clément Chassot :

« Il nous a apporté de la confiance et son professionnalisme nous a permis d’avancer. C’était un kiffe pour lui et ça se sentait. Il nous a donné les clefs pour voler seules ».

Impossible pour des participantes, devenues amies, d’en rester là. Elles ont lancé « La Croix-Zette », pour simplement « donner des nouvelles du quartier ». Le journal est aujourd’hui à son 10e numéro et « fait partie des murs du centre social » s’amuse Saloua. Cette expérience avignonnaise est le parcours idéal, l’objectif à atteindre, pour les journalistes du Ravi.

La "Une" du journal d'habitants de la Croix-Zette © JB Mouttet
La « Une » du journal d’habitants de la Croix-Zette © JB Mouttet

« Il y a du sens dans l’éducation populaire »

« Il y a du sens dans l’éducation populaire », juge Jean-François Poupelin qui chapeaute l’activité éducation populaire au Ravi. « Il y a la volonté de transmettre nos pratiques, notre expérience, les outils du métier de journaliste nécessaires à la compréhension des médias et du monde qui nous entoure. »

Le journal ne se résume pas à ses caricatures qui égratignent les élus locaux, ses enquêtes qui stimulent la démocratie du département ou ce ton volontiers sardonique, c’est aussi ces suppléments qui donnent la plume à « ceux qui en ont le plus besoin (…) afin de faire entendre leurs voix », comme l’explique le journaliste dans plusieurs numéros. Cette éducation populaire est désormais ancrée dans l’identité du mensuel.

Au Ravi, cet intérêt est né bien avant 2015, quand, après les attentats contre Charlie Hebdo, le gouvernement a encouragé l’éducation aux médias. Porté par l’association La Tchatche, Le Ravi intervient dans les collèges, les lycées, les centres sociaux, les associations ou le milieu carcéral depuis 2007.

En 2014, un pas plus franc est franchi en matière d’éducation populaire. Avec l’appui de la fondation Abbé Pierre, Le Ravi met alors en place un atelier de journalisme participatif auprès des Sans Domicile Fixe de Marseille. Le journal qui est tiré entre 4-5000 exemplaires et accueille 10 000 visiteurs uniques sur le site payant chaque mois, publie en moyenne 2 suppléments par an. 2019 a été une année particulièrement fertile avec quatre suppléments de 8 à 12 pages.

Jean-François Poupelin, au premier plan, mène un atelier auprès d'adolescents de la Maison des familles et des adolescents dans 14e arrondissement de Marseille, en 2017. DR Thierry Dargent
Jean-François Poupelin, au premier plan, mène un atelier auprès d’adolescents de la Maison des familles et des adolescents dans 14e arrondissement de Marseille, en 2017. DR Thierry Dargent

« Lui, il n’est pas là que pour sa gueule ! »

Cette éducation populaire va effectivement de paire avec un «journalisme participatif. » Les thèmes des suppléments, les angles des sujets viennent du public. Les journalistes aiguillent, recentrent le débat, aident à trancher une décision. Cette méthode est appréciée.

« Le Ravi laisse la place aux habitants. Je me souviens qu’une fois Jean-François avait une idée en tête. Les participants ne voulaient pas partir sur ce sujet. Jean-François a tout de suite accepté. Ils se sont dits ok, lui, il n’est pas là que pour sa gueule. Un lien de confiance s’est créé », raconte Thierry Dargent, journaliste qui a ouvert au Ravi les portes de la cité des Flamants dans les quartiers nord de Marseille.

Il ajoute :

« Attention Jean-François ce n’est pas un béni-oui-oui non plus. Il exprime son point de vue. C’est une relation bienveillante et honnête. »

Cette phase de prise de contact est primordiale.

« Les habitants du quartier reviendront parce qu’ils ont confiance, parce que la personne qu’ils ont en face vaut quelque chose à leurs yeux », témoigne le journaliste.

La participation et l’écoute sont des qualités nécessaires pour faire face aux potentiels « décrochages ».

Le public n’est pas convaincu par avance. La presse souffre d’une image dégradée. « Souvent, les habitants voient les journalistes comme des gens qui leur crachent à la gueule » poursuit Thierry Dargent .

Le journaliste critique la « stigmatisation que ce soit par la condescendance ou l’insulte » et ces articles écris depuis un bureau sans connaître le terrain ou en mode parachutiste :

«  Tu tombes, tu mitrailles, tu te tailles ».

Depuis Avignon, Saloua Moussaid est plus modérée mais va dans le même sens :

« Moi ce qui me hérisse les poils c’est l’utilisation du terme « quartier populaire ». « Populaire » est vu comme pauvre, avec de la délinquance. Nous, on veut montrer qu’il y a des gens de qualité, respectables et respectueux, des gens qui ont des valeurs. »

Plusieurs suppléments ne pointent pas seulement du doigt les problèmes mais informent aussi sur les solutions. Le numéro « Faire alliance », de décembre 2019, dénonce ainsi ce « réseau qui fait très souvent défaut aux ados du quartier et à leurs parents ».

Les apprenties-journalistes des Flamants ont choisi de mettre en avant l’initiative Dégun sans stage, lancé par l’entrepreneur Christophe Barlotto pour aider les collégiens à trouver leur stage de 3e, le réseau Culture du Coeur pour permettre d’accéder plus facilement à une offre culturelle ou encore les accompagnements possibles pour les malades du cancer du sein.

Le mensuel « pas pareil », doit aussi faire passer son identité particulière. Les caricatures peuvent faire grincer certaines dents, même si c’est rare.

« À Font Vert [Ndlr : dans les quartiers Nord de Marseille], quand j’ai prononcé le mot « caricature », un participant s’est écrié « ah oui, le truc raciste ». On en profite pour en discuter », raconte Jean-François Poupelin.

Dans chaque supplément les participants sont croqués par un dessinateur au risque d’en déstabiliser certains et d’en amuser d’autres. C’est aussi ça l’éducation aux médias.

Education aux médias
Les jeunes de la Maison des familles et des associations dans le 14e arrondissement de Marseille, à l’écoute d’un atelier. DR Thierry Dargent

Le lien de confiance entre les habitants de quartiers et les journalistes du Ravi se crée par une prise de parole libérée. C’est cela que tient à rappeler Fatma Benziane qui a travaillé sur deux numéros depuis le centre social des Flamants-Iris où elle est responsable du secrétariat et de l’accueil. Elle explique :

« Ces ateliers c’étaient un moment de pause dans nos vies pour partager les expériences des uns et des autres. C’était une délivrance.»

L’installation des ateliers du Ravi dans un quartier, nécessite des relais sur le terrain. Ces relais peuvent être des personnes installées sur place comme le journaliste Thierry Dargent aux Flamants et/ou les centres sociaux, les MJC… Une fois ce lien créé, l’intégration du Ravi loin de ses murs est plus facile.

« Tu peux alors t’appuyer sur une structure qui connait les lieux, les publics », note Jean-François Poupelin.

Education aux médias
Un atelier dans les quartiers Nord de Marseille, aux Flamants. L’accent est mis sur la participation de chacun. En bleu, Fatma Benziane. DR Thierry Dargent

« Le but est de les mettre en situation de faire parler »

Sur les douze ateliers de deux heures étalés sur 3 mois, les 2-3 premières présentent le monde médiatique, expliquent comment se construit l’information, le fonctionnement d’un journal, mènent à s’interroger sur la presse comme un outils de citoyenneté… Les journalistes-animateurs esquissent une critique des médias « où l’on s’inclut dedans » note Clément. Cette phase de rodage ne dure qu’un temps. Vient, ensuite, le gros du travail : aller chercher l’information sur le terrain. Clément prévient :

« Plus que donner la parole, le but est de les mettre en situation de faire parler .»

Cette recherche « de vécu, de témoignages qui font ricochet chez les gens », comme l’explique Fatma Benziane, ne va pas de soi pour tous.

« J’avais un peu d’appréhension au départ. Je suis voilée et je ne savais pas comment allait le percevoir la personne interviewée », raconte Saloua Moussaid.

La femme au foyer qui, avec ses amis, « n’a pas lâché l’affaire », a pris confiance.

« Même à la mairie, ils demandent quand paraitra le nouveau numéro de La Croix-Zette. On a pris de l’importance. »

Un calepin ou un stylo à la main, Saloua Moussaid n’est plus simplement « une maman » mais une journaliste, citoyenne, qui réclame son droit d’être informée et d’informer.

Cette peur de l’écrit

Au cours des trois dernières séances, c’est le temps de l’écriture et de l’initiation à la création d’une maquette. L’écriture est une autre difficulté que doit surmonter « Le Ravi. » Chez les plus jeunes, les personnes d’origine étrangères, la maîtrise de l’écrit peut être problématique. Cette peur de l’écrit ne doit pas pour autant être un frein à l’engagement.

« Je leur dit de ne pas s’arrêter à ça. « Vous savez parler ?  Alors on y va ! Je relirai », lâche Thierry Dargent.

Ce travail demande une aide individuelle et parfois un peu de réécriture. Dans ce contexte, il n’est pas simple d’accrocher un ton satirique.

« On pousse à utiliser la chronique ce qui permet de forcer le trait », note Jean-François Poupelin.

Mais la priorité est donnée au fondamentaux : l’écriture journalistique simple et efficace, qui informe.

Une fois le supplément dans les mains, les participants ne connaitront pas seulement les métiers du journalisme ou pris conscience de pouvoir exercer leurs citoyenneté via un média. Ils « changent le regard qu’ils portent sur eux », souligne Thierry Dargent.

Les jeunes de la Maison des familles et des associations dans le 14e arrondissement de Marseille, à la recherche d’information. DR Thierry Dargent

Manque de financement

Ce travail qui donne une grande place à l’humain, souffre pourtant de manque de financement. Paradoxalement, alors que l’éducation aux médias connait une importante dynamique grâce, notamment, aux efforts du ministère de la Culture, l’éducation populaire bat de l’aile. Pour Jean-François Poupelin :

« C’est un choix politique et les centres sociaux ont plus de mal à se renouveler. Ils ont moins en moins de moyens. Certaines structures sociales vont donc donner la priorité aux activités qu’ils sont capables de monter eux-mêmes et aussi aux loisirs pour permettre aux habitants de sortir la tête du quartier et de leur vie quotidienne. »

Pour mener à bien un projet de journal avec un groupe, Le Ravi a besoin d’environ 10 000 euros. Le budget de l’éducation populaire s’élève à 50 000 euros sur une année. Pour financer chacun des projets le mensuel trouve des aides auprès de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC, ministère de la Culture), le conseil départemental, la fondation Abbé Pierre et par l’autofinancement.

Il est arrivé que les financements et les aides escomptées ne soient pas obtenues en temps et en heure ou à la hauteur espérée. Qu’à cela ne tienne, le journal mène tout de même le projet. Eux non plus, ils ne lâchent pas.

Supplément du Ravi d’avril 2020 by Laurent Burlet on Scribd

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    L'AUTEUR
    Jean-Baptiste Mouttet
    Journaliste indépendant installé à Marseille. Spécialiste des sujets de société, politique, environnement et de l'Amérique latine.

    Boîte à outils

    • Des interventions dans les centres sociaux, les associations ou le milieu carcéral depuis 2007, selon plusieurs modalités.
    • Dans les centres sociaux : douze ateliers de deux heures étalés sur trois mois, animés par un journaliste pour un public de 4- 10 participants.
    • Budget de chacun des douze ateliers de "journalisme participatif" : 10 000 euros.
    • Financement : DRAC, Conseil départemental, fondation Abbé Pierre et autofinancement.

     

    La production

    • 10 suppléments du Ravi de "journalisme participatif" parus depuis 2014. A chaque fois, 8 pages nourris par des habitants des quartiers populaires
    • Des journaux d'habitants créés à la suite de ces ateliers : La Croix-Zette en Avignon, le Mesclun aux Flamants à Marseille.

    Contacts

    Le site du Ravi

    redaction@leravi.org

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