Avec Globe Reporters : des apprentis journalistes s’envolent pour le Québec
Dans un collège Rep+ de Vitrolles, souffle un vent frais et revigorant venu du Québec. Les élèves planchent sur les entretiens que leur a envoyés leur « envoyée spéciale », une journaliste professionnelle. Le projet d’éducation aux médias Globe Reporters casse les frontières entre les pays francophones, mais aussi entre le journalisme et la jeunesse. Une source de motivation pour les collégiens mais aussi pour les professionnels.
« Le Ceta ça peut poser problème aux producteurs de fromages québecois. Ils ne sont pas certains de rivaliser avec le fromage français qui arrivera plus facilement au Canada » explique Clara en triturant son stylo quatre couleurs lors d’une conférence de rédaction de Globe Reporters ce 12 mars 2020.
« le Ceta, vous savez, cet accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada… ».
Un petit coup d’œil autour d’elle… non, ce n’est pas la salle de rédaction des Échos mais bien la salle informatique du collège Henri Fabre à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), près de Marseille.
Derrière les stores à demi-fermés se devine une enfilade de barres d’immeubles de 4-5 étages où le bourdonnement de l’Autoroute du soleil endort le quartier. Élève de 4e, Clara est bien loin de tout ça, exactement à plus de 5 000 kilomètres, dans la fromagerie « Qui Lait cru » au marché Jean Talon de Montréal. Avec ses trois collègues, elle écoute le témoignage de la fromagère Véronique Commend.
« Moi, toutes ces spécialités culinaires, ça m’a donné faim », glisse malicieusement Yanis, chargé de trier les photos.
La professeure documentaliste Nadège Mazeran, pilier du projet au collège, lance :
« Vous avez tous votre angle, votre idée principale ? »
Le groupe « fromage », est pour l’instant d’accord pour partir sur le portrait de la fromagère. Yanis voudrait bien placer une photo de fromage et se demande tout de même si c’est bien approprié pour un portrait.
Naviguer entre les sons et les photos grâce à Globe Reporters
Ces élèves de 4e naviguent entre les sons et les photos du Québec grâce au projet d’éducation aux médias Globe Reporters porté par l’association Le retour de Zalumée.
Pour chaque campagne, le principe est le même : organisés en rédaction, les jeunes sont aux commandes. Avec l’aide de l’équipe enseignante, les élèves se documentent, choisissent la plupart des thèmes à traiter (cette année deux thèmes sur cinq ont été imposés, le Ceta et les peuples amérindiens), préparent les interviews avec les questions à poser.
Leurs yeux et leurs oreilles, c’est « leur » envoyé spécial. Concernant la campagne « Cap sur Québec ! » menée notamment dans ce collège de Vitrolles, il s’agit de la journaliste indépendante Marine Leduc.
En novembre et décembre dernier, elle a sillonné durant six semaines le Québec et ne cache pas que c’était « très intense ». Elle a réalisé à elle seule 70 entretiens.
Après avoir discuté avec les élèves du collège par Skype, elle a donné de ses nouvelles via « un carnet de route » où elle raconte par écrit son voyage : « son bonnet d’aviateur » qui la protège du froid « qui peut atteindre les -30 degrés voire – 40 », cette centaine de kilomètres parcourus en bus, puis le trajet en Pick-Up pour atteindre Odanak une réserve amérindienne abénaquise, « un petit village tranquille de 400 habitants, entouré par une forêt et la rivière Saint-François » ou encore ses nombreuses rencontres de «personnes passionnées et passionnantes. »
Celle qui prenait « soin de respecter les questions des élèves » a un seul regret : ces Youtubeurs qui n’ont pas répondu à ses sollicitations. Elle s’en excuse encore. L’ombre de « Marine » plane toujours sur la classe quelques mois après. La journaliste a pris des allures d’héroïne.
« Les journalistes vont chercher l’info de partout et tout le temps »
« C’est des fous en fait les journalistes. Ils vont chercher l’info de partout et tout le temps », lâche Bilel, 14 ans.
Dans son jogging aux couleurs de l’OM, sourire en coin, ses yeux brillent quand il évoque les Cris, un peuple d’Amérique du Nord.
« Je pensais que les Amérindiens avaient disparu mais en fait ils vivent dans des réserves. On a choisi de travailler sur comment ils parviennent à conserver leur culture. »
Pour la professeure documentaliste, Nadège Mazeran, cette « évasion » est un des atouts du projet :
« À la différence d’un journal sous forme de blog que j’avais animé il y a quelques années, Globe Reporters permet de faire des rencontres que nous n’avons pas les moyens matériels d’effectuer. »
Elle a connu le projet grâce à son réseau de documentalistes.
Les classes des écoles et collèges participant à « Cap Sur Québec ! » téléchargent sur Internet les sons, les photos, vidéos et textes postés par « leur » envoyée spéciale via Internet. C’est cette matière brute qu’ils modèlent pour en faire un article sur le support qu’ils choisiront (journal, podcast, blogs etc).
« Il y a moins la peur de la page blanche »
« C’est l’étape la plus difficile », témoigne Nadège Mazeran. Dans cette classe où il n’est pas rare de voir un participant se lever pour discuter avec un camarade à l’autre bout de la classe, le tout est de parvenir à conserver une certaine concentration. Le professeur d’histoire-géographie, Christophe Leblanc, explique :
« Nos élèves sont habitués à des travaux courts, ce qui est différent avec ce projet. »
Ce projet demande un travail important alors qu’« avec cette classe, on peut difficilement externaliser le travail à la maison. » Mais ce prof d’histoire-géo constate une nette progression :
« Il y a moins la peur de la page blanche. Les élèves qui avaient du mal à écrire des phrases en début d’année y parviennent avec plus de facilité aujourd’hui. »
Dans chaque groupe de quatre, les stylos grattent des notes, les élèves écoutent les entretiens enregistrés et débattent de ce qui est important ou non, des phrases qu’il faut conserver ou pas.
L’équipe enseignante n’est elle-même pas forcément à l’aise avec la méthode ou l’écriture journalistique. C’est là qu’entre en jeu la « marraine » bénévole de la classe, Feriel Alouti, journaliste indépendante qui accompagne le processus. Elle reconnaît :
« Écrire un article à partir de la matière brute est difficile pour ces élèves et ça l’est aussi pour un adulte. Selon les établissements, les résultats ne seront certainement pas les mêmes ».
Elle cherche avant tout à « démystifier le métier et expliquer que ce n’est pas seulement un présentateur de JT » :
« J’explique comment se fabrique l’information, ce qui différencie cette info d’une rumeur, l’importance de recouper les sources etc. »
Le message est passé auprès de Bilel :
« Être journaliste ce n’est pas seulement poser des questions. Ensuite, il faut vérifier si c’est vrai ou non. »
« Produire une bonne info, c’est un métier »
Alain Devalpo, le co-fondateur de Globe Reporters, prévient :
« Nous ne cherchons pas à former des futurs journalistes. Mais éduquer aux médias. L’idée est que ces jeunes aiguisent leur regard et comprennent que produire une bonne info, c’est un métier. »
C’est sa « passion » pour le journalisme que l’ancien correspondant en Amérique latine souhaitait « transmettre », il y a plus de vingt ans de cela.
« Et pas seulement en faisant découvrir le papier fini mais tout ce qu’il y a autour ».
En 1996, avec la complicité de son ami professeur d’histoire géographie, Érick Bureau, il entreprend un échange par fax avec une classe de collège de l’Essonne depuis le Chili.
« Je les ai vite embarqués sur un reportage à faire ».
Plus de 2000 Globe Reporters en herbe
L’association Le retour de Zalumée est fondée en 1999 et son programme, Globe Reporters, est officiellement née en 2013 et a depuis multiplié les projets. Sur les 5 dernières années, 8400 élèves ont bénéficié des campagnes de l’association et 460 enseignants ont été mobilisés. « Cap sur Québec ! » a, à elle seule, touchée 445 élèves.
Une petite participation financière des établissements
« Cap sur Québec ! » a vu le jour grâce aux aides de ministère de la Culture (8000 euros) et la participation des 13 établissements scolaires répartis sur toute la France (7650 euros). La campagne a par conséquent coûté seulement 600 euros au collège Henri Fabre de Vitrolles.
Pour la principale du collège, Dominique Louis, cette participation n’a pas été un problème. Intéressée par « cet exercice grandeur nature » où « les élèves se rendent compte des difficultés du métier de journaliste », elle explique que le « collège se donne des priorités et l’éducation aux médias fait partie de ces priorités ».
Ces 600 euros ont pu facilement être entièrement amorti par la Participation aux Actions Menées par les Établissements (PAME) qui dépend du département.
Pour l’instant, l’organisation ne compte qu’un salarié : Alain Devalpo en tant que coordinateur. Les « parrains » et « marraines » exceptés, les artisans des projets sont rémunérés. Marine Leduc a par exemple été payée 5 000 euros net sur deux mois.
La journaliste est prête à repartir pour Globe Reporters. L’expérience a porté un coup de fouet supplémentaire à sa motivation professionnelle et lui a permis de prendre du recul.
«Avec les élèves on discute des rouages du journalisme ce qui amène à s’interroger sur les aspects éthiques et déontologiques ».
Le métier de journaliste, peu l’envisagent dans la classe. Les cinq élèves interrogés sur ce sujet se cachent derrière un « je suis pas très bon en français ».
Bilel lâche, lui aussi, la même excuse, puis demande à voir une carte de presse, interroge sur les études à entreprendre… « Si je peux inciter une classe sociale moins favorisée à dépasser une barrière psychologique, alors c’est gagné », note Feriel Alouti, la marraine.
L’hyperactivité de l’association d’éducation aux médias malgré la Covid
Le chef orchestre de Globe Reporters, Alain Devalpo, l’assure : les confinements n’ont eu qu’ « un très faible impact négatif » sur les activités. Il y voit même des aspects positifs : «Les enseignants maîtrisent mieux les outils numériques du travail à distance ». Le retard pris par certaines institutions pour lancer des programmes de subventions s’est parfois transformé en opportunité. L’association a ainsi pu participer au programme Partenariats stratégiques pour l’enseignement scolaire Erasmus+ de l’Union européenne et ainsi obtenir des subventions pour que deux lycées, turque et roumain, et deux collèges, français et belge, qui travaillent sur l’Europe.
Les campagnes ont continué d’essaimer le monde. En 2019/20, les élèves ont pu voyager par procuration au Québec, bien entendu, mais aussi en Guyane, en Tunisie, en Europe et même être sensibilisés aux enjeux environnementaux par des enquêtes et reportages dans les Hauts-de-France. Ce ne sont pas moins de 20 journalistes qui ont, cette année là, aidés 1140 élèves à construire une information. En 2020/21, l’association a poursuivi ses efforts. Elle a mis cap sur le Liban, développé Globe Reporters Juniors, un programme pour les établissements du 1er degré, tout en poursuivant les campagnes concernant l’environnement et l’Europe.
Il a fallu parfois bricoler. La journaliste Sidonie Hadoux a ainsi bien pu partir au Liban début janvier. Mais alors qu’elle menait les entretiens normalement, le confinement l’a rattrapé. Elle a dû passer à la visioconférence. « Pour pallier les déficits, nous avons pioché dans nos archives et le travail réalisé en 2016 », raconte Alain Devalpo qui peut se reposer sur l’expérience de l’organisation.
Le nombre de bénéficiaires a diminué de moitié en 2019/20 par rapport à l’année précédente. En 2018/19, 2337 élèves avaient été en effet suivis par les journalistes de Globe Reporters. La Covid n’en ai pas responsable. « C’est lié à une baisse des subventions », informe Alain Devalpo. Le déficit, bien que contenu, est aussi plus important et atteint 5137 euros pour 105 409 euros de dépense. Le budget était à l’équilibre en 2018/19 (-53 euros). (Le rapport annuel 2019/20 est consultable ici).
Globe Reporters ne compte pas faire pour autant faire du surplace. Le programme cherche à toucher d’autres publics et notamment les jeunes hors structures scolaires. Un projet pilote est en cours avec l’Association de prévention du site de la Villette (APSV).