Infox 

Marie-Rose Farinella, chasseuse de fake news

actualisé le 04/10/2022 à 15h09

En cinq ans, elle est devenue l’une des figures référentes en matière d’éducation aux média en France. Souvent surnommée “la débusqueuse de fake news”, Marie-Rose Farinella est institutrice à l’école primaire de Taninges, en Haute-Savoie. Depuis 2014, elle organise des séances pour ses classes de CM2 successives, pour donner aux élèves des clés de lecture et de compréhension du monde des médias et de l’information.

“Tout a commencé avec un constat : je recevais sur ma boite mail personnelle de plus en plus de mails contenant une fausse information, relayées par des adultes de mon entourage, qui me semblaient inquiétantes. J’ai immédiatement pensé “si des adultes éclairés sont capables de croire ces histoires, comment les enfants vont-ils faire pour s’y retrouver à travers toutes les informations et fake news?”

Les élèves de Marie-Rose Farinella sont en CM2. Agés de 10 ans en moyenne, dans sa classe actuelle, tous ont un usage quotidien d’Internet et des réseaux sociaux.

Lorsqu’elle démarre en 2014, l’éducation aux média est à ses prémisses. Peu de matériel pédagogique ou de formations déployées à l’intention des enseignants de l’Education nationale.

“Au départ j’ai suivi des mooc – formation en ligne – sur les réseaux sociaux et l’éducation aux média pour me mettre à la page”. Et puis, elle développe son propre “scénario pédagogique” qu’elle teste en classe. Méthode incrémentale qui lui permet d’adapter chaque année le contenu.

“La dernière version en date de juin 2019 a bien évolué depuis mes débuts, même si les grandes lignes sont inchangées. Il y a, en tout cas, un point sur lequel je ne me suis pas trompée : avant d’aborder ce qu’est une fausse information, il faut d’abord comprendre ce qu’est une information”.

La méthode Farinella repose sur ce socle de travail préliminaire pour la chasse aux infox.

Pub, info ou intox

Leurs masques de “hoaxbusters” sur les yeux, entourés de coupures de journaux sur leur pupitre d’élève, les traqueurs de fakes news s’activent.

“La source n’est pas fiable”.

“C’est du placement de produit”.

L’institutrice elle-même est agréablement surprise des remarques entendues. Toutes sont pertinentes et témoignent d’un regard déjà aiguisé sur le monde des médias. Cela signifie que les séances précédentes ont porté leurs fruits. Car pour en arriver là, il a fallu poser des bases. A commencer par la découverte de la presse, avec des grandes questions discutées en groupe : qu’est ce que l’objectivité journalistique ? Une source ? Une information ?

« Remise des diplômes » des apprentis « hoaxbusters »

“Cette année, j’ai décidé de modifier l’intitulé de ma formation. De « info ou intox, comment faire la différence sur les réseaux sociaux ? », j’ai réorienté en « pub, info ou intox ». C’est un vrai choix d’axer sur la publicité, ouverte ou cachée, et le modèle économique de la presse. Ça permet d’expliquer que le journalisme est un métier, qui nécessite des compétences, une rémunération, mais aussi comment l’information se traite, l’indépendance, le placement de produit…”, souligne Marie-Rose Farinella.

Celle qui a exercé autrefois le métier de journaliste estime qu’à cet âge là particulièrement, l’esprit critique commence à se former. C’est à cet âge qu’on peut apprendre à différencier une information d’une fake news.

“C’est plus facile qu’avec des adolescents, car ils sont complètement ouverts et à l’écoute. On sème des graines qui leur serviront plus tard”.

En guise d’exemple, Marie-Rose travaille sur les slogans publicitaires, et demande aux élèves d’en créer à leur tour.

“On a eu des choses géniales, comme pour des bonbons Haribo : “Haribo c’est beau la vie, pour les grands et les caries !

Autre exercice : décrypter des vidéos – du Clemi – montrant un nutritionniste vantant les bienfaits d’un produit.

« On discute ensuite de la notion de conflit d’intérêt, selon qu’il s’agisse d’un comédien, de quelqu’un qui travaille pour la marque en question, etc…Et ça fonctionne très bien”.

Premier temps : Apprendre à vérifier, recouper, contextualiser

Le ton assuré de l’institutrice ne doit pas cacher les allers-retours permanents dans l’apprentissage. Ni laisser penser que l’éducation aux médias serait une science exacte.

Mais la méthode est rodée : seize séances de 45 minutes réparties sur une année scolaire. Trois grandes parties découpent le programme :

  • S’informer avec la presse écrite imprimée et en ligne
  • Pourquoi de fausses informations circulent-elles sur internet ? Info ou intox, comment faire la différence ?
  • S’informer et communiquer sur internet et les réseaux sociaux ; avantages, risques, règles de prudence. Élaboration d’une charte d’utilisation d’internet à l’école

“Dès les premières séances, je leur ai appris à reconnaître des titres de presse “fiables”. Cela ne veut pas dire que ce sont les seuls, et qu’ils doivent uniquement se référer à ceux-là. Je ne parle pas non plus de la qualité rédactionnelle. Mais il existe une telle diversité de sources, que c’est un premier socle sur lequel s’appuyer, avant d’apprendre par soi-même à détecter les titres auxquels on peut se fier”.

Les notions de droite et de gauche sont également abordés, ou encore la presse jeunesse : Mon quotidien ou Le Dauphiné pour les enfants.

Marie-Rose Farinella est d’ailleurs consciente des biais de l’éducation aux médias :

“Je précise bien que même si ça vient d’un journal reconnu, et bien un journaliste peut se tromper, il peut être victime de ses propres biais. C’est le principe : tout le monde peut faire des erreurs, donc il faut croiser l’information !”

Pour faire ressentir aux élèves les principes d’objectivité, la professeure s’appuie sur les ressources du Clemi, puis invente des jeux de rôles et des mises en situation. Exemple : une manifestation anti-chasseurs organisée par des militants écologistes.

“Je leur demande ce qu’ils pensent d’un journaliste qui ne donnerait que le point de vue des chasseurs, ou des écolos. Ensuite, je les questionne : “et si le journaliste est lui-même militant, ou chasseur ?”

Avant de décrypter avec eux les types d’articles, et notamment “les billets d’humeur et les éditos, dans lesquels les journalistes donnent ouvertement leur point de vue personnel. Plus délicat quand ce point de vue est moins assumé clairement.

Lors de ces séances, elle évoque les biais “cognitifs”, comme les “paréidolies” : le fait d’identifier des formes familières dans des paysages, de la fumée, des objets, des ombres…

“Non seulement nous voyons un visage sur cette pomme de terre ou ce poivron, mais en plus nous lui attribuons des sentiments !”

En 2016/2017, elle fait participer ses élèves à la réalisation d’un « Petit JT » de TV8 Mont Blanc. Dans ce cadre, ils ont questionné le directeur de la diffusion du « Dauphiné Libéré » Ain et Haute Savoie sur son métier de journaliste.

“Pour appréhender ce métier, rien de tel que de rédiger des articles, de créer un journal, de faire des reportages audios et vidéos et d’interviewer des journalistes”.

Deuxième temps : débusquer, traquer, analyser

La seconde partie de l’année est consacrée aux moteurs de recherche, à l’analyse des informations sur des sites parodiques.

“On décortique le contenu des articles à la lumière de ce qu’on a appris en première partie ; les 5W, la source, la signature ou le pseudo. Concrètement on tente d’établir la crédibilité de la source en la croisant sur plusieurs sites”.

Dessin d’élèves de CM2 de la classe Marie-Ange Ferinella

Elle s’appuie notamment sur du matériel pédagogique adapté à l’âge des élèves, comme le dessin animé de Vinz et Lou « Attention aux canulars; avant d’alerter tes amis, vérifie ».

Une partie est consacrée aux moteurs de recherche :

“Les premières suggestions que vous proposent un moteur de recherche ne sont pas forcément les plus intéressantes. Pour preuve, si vous tapez les mots « égalité » ou « réconciliation » sur Google, la première proposition qui s’affiche est « Egalité et Réconciliation ». Je suggère également aux élèves un moteurs de recherche sécurisé plus approprié pour les enfants : Qwant Junior.”

Marie-Rose Farinella est institutrice à l’école primaire de Taninges, en Haute-Savoie. Depuis 2014, elle accompagne tout au long de l’année scolaire une classe de CM2 pour donner aux élèves des clés de lecture et de compréhension du monde des médias. CC Margot Hemmerich

Enfin, la formatrice s’attaque à l’éducation aux images. Cadrage, retouche, photo montage. Quelle est l’histoire d’une photo ? Pourquoi et comment a-t-elle été prise ?

“On se demande aussi pourquoi et dans quel intérêt des photos sont trafiquées. Ça peut-être pour rire, mais aussi dans un but publicitaire, ou encore par médisance et volonté de nuire ou d’influencer. C’est cette partie qui nous amène directement à discuter de racisme, de contenus haineux et de xénophobie sur les réseaux sociaux.”

Pour Marie-Rose Farinella, l’objectif ultime de ces séances est en effet de susciter une discussion sur la liberté d’expression et ses limites.

“Avec l’éducation aux médias, on tire un fil infini. On peut parler de citoyenneté, de démocratie, de respect”.

Mais aussi des dangers inhérents au web. Là aussi, elle se défend d’une vision caricaturale :

“ce n’est pas un cours sur les dangers d’Internet. Je veux qu’ils comprennent que c’est un outil merveilleux, grâce auquel on peut collaborer, s’entraider, … mais il faut être prudent. Je leur parle de la protection des données personnelles, du cyber harcèlement. En fait c’est important qu’ils aient un lieu de parole sur tout ce qu’ils peuvent trouver sur Internet, car tout le monde n’a pas la chance à la maison de pouvoir en parler avec un adulte qui a de la distanciation”, conclut-l’institutrice.

Dessin d’élèves de CM2 lors des séances d’éducation aux médias

Bilan : seuls quelques élèves désintéressés

Avec un public de cet âge-là, Marie-Rose Farinella sait qu’il faut rendre les séances actives et ludiques. Les enfants sont sans cesse mis en position où ils doivent créer ; qu’il s’agisse de slogans, de montage photos, de jeux de rôle. Sa plus grande fierté, c’est de voir les rôles de “bons” et de “mauvais” élèves s’inverser.

“Ce sont parfois ceux en difficulté scolaire qui se révèlent les plus brillants, car les plus intéressés. D’autres passent beaucoup de temps sur Internet, alors ça les touche en première ligne. Lors de ces séances, les rôles s’inversent et ce sont eux qui expliquent aux autres. C’est extrêmement valorisant”.

Mais certains élèves, déjà en retrait, n’accrochent pas.

Si l’on en juge au nombre de sollicitations que reçoit la professeure, la méthode Farinella semble avoir fait ses preuve. Elle y voit pour sa part un autre révélateur des faiblesses de l’Education nationale en la matière.

“Il y a un problème de fond. Aujourd’hui, il faudrait former les enseignants car l’EMI dépend trop des bonnes volontés de chacun. Et même avec des enseignants motivés, certains ont peur de ne pas savoir s’y prendre et préfèrent ne pas se lancer. Ça prend du temps pour s’approprier les ressources, tester, les adapter…”

Car si l’éducation aux média fait désormais partie des programmes scolaires, dans l’enseignement primaire peu d’instituteurs y sont sensibilisés et il faut souvent attendre le collège ou le lycée pour avoir des professeurs documentalistes formés au monde de l’information. Marie-Rose Farinella en est pourtant convaincue :

“L’éducation aux média est transversale. On doit pouvoir l’aborder en mobilisant toutes les matières, du français à l’histoire- géo en passant par les matières scientifiques avec les statistiques, les sondages, les probabilités…”

Aujourd’hui, la circonscription de Cluses lui a demandé de former d’autres professeurs à son projet pédagogique.

L’ensemble de sa méthodologie et les outils, liens, vidéos sur lesquels Marie-Rose Farinella s’appuie pour faire découvrir le monde de l’information à ses élèves sont à retrouvés sur le site de l’académie de Grenoble.

Réagir à cet article
Oups, cette page est prévue pour s'afficher sur un écran de smartphone. Cliquez sur le bouton pour ouvrir l'article sur un écran plus large. Cliquez ici !