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Le Vrai du Faux : un outil de détox aux mains des animateurs jeunesse

Développé par l’Union Nationale Information Jeunesse, le Vrai du Faux est un outil d’éducation aux médias présenté sous forme de magazine, à destination d’un public jeune, en collège ou lycée. Il est utilisé par différentes structures jeunesse dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Nous revenons sur les expériences de trois animateurs sur le terrain habitués à utiliser le Vrai du Faux dans les établissements scolaires. 

Damien Bouterra est éducateur jeunesse à l’APIJ, l’association pour l’intercommunalité des jeunes depuis cinq ans sur le territoire de la communauté d’agglomération Loire-Forez

L’association APIJ créée il y a 26 ans agit auprès d’un public de 11 à 25 ans sur l’agglomération qui regroupe 118 communes, dont la commune de Montbrison, soit un peu plus de 80 000 habitants. Sa particularité : le Conseil d’Administration est tenu par des jeunes de 16 à 25 ans.

William Meyssonnier travaille pour l’association Ici et ailleurs (adossée à la radio locale Radio là) dans le secteur sud-Drôme, anciennement comme responsable du service jeunesse, aujourd’hui comédien professionnel.

Sophie Morel est quant à elle informatrice jeunesse en milieu rural pour l’agglomération de Vienne – Condrieu mais aussi “promeneur-se du net” dans l’Isère. 

Tous les trois ont été formés au Vrai du Faux, et mènent des ateliers dans les établissements scolaires de leur territoire.

Présenté sous forme de magazine papier ou numérique d’une douzaine de pages, Le Vrai du Faux est composé d’articles, de publicités, de liens ou vidéos, d’images et de tweets que les collégiens doivent décrypter. Parmi toutes les informations, certaines sont donc vraies, et d’autres fausses. 

Cette info est-elle vraie ou fausse ?

Damien Bouterra explique :

« Le point de départ c’est qu’on est submergés d’infos avec le numérique et les réseaux sociaux. Donc cet atelier doit d’abord permettre de ne pas se faire avoir par les gros fake ; aujourd’hui, on connait tous le Gorafi, mais il existe beaucoup d’autres faux sites ou informations qui circulent, moins connus (comme Franche Info). Ensuite, il s’agit d’aller plus loin dans la réflexion, en analysant par exemple la différence entre corrélation et causalité, en apprenant à ne jamais croire une image sans vérifier sa source, etc.”

Exemple : décrypter un article trouvé dans la presse nationale avec le titre “le covid 19 a réduit les émissions de gaz à effet de serre ».

“Alors non, le virus ne l’a pas réduit. La covid a entraîné une baisse de production, qui a engendré la réduction du gaz à effet de serre. On va donc jouer sur des titres pour nuancer, analyser”, poursuit l’éducateur de l’APIJ.

Créer des automatismes de vérification

Les animateurs insistent sur un point, essentiel dans l’éducation aux médias : ne pas agir de manière descendante et verticale.

“On dit bien aux jeunes qu’on a n’a pas la science infuse quand on les forme, loin de là. Mes discours aussi sont à vérifier. Ce n’est pas dire “soyez dans la vérification de tout, tout le temps. Mais quand des choses nous interpellent, nous devons vérifier”, affirme Damien Bouterra.

Sophie Morel abonde :

“Le numérique, c’est comme le vélo, on n’enlève pas les roulettes tout de suite. Il faut un apprentissage puis un accompagnement”. 

La tâche se complique quand l’actualité ne tarit pas. Gilets jaunes, coronavirus,… cette année a donné du grain à moudre autant aux journalistes qu’aux éducateurs jeunesse chargés d’essayer de donner quelques clés d’analyse de l’information.

Non, les médias ne mentent pas forcément, mais oui, ils peuvent avoir des points de vue différents, des intérêts à affirmer certaines positions.. Oui, ils peuvent aussi se tromper. Mais non, les réseaux sociaux ne sont pas toujours plus fiables pour autant. Pour l’éducateur jeunesse de l’APIJ, l’enjeu est de taille.

“C’est en effet plus délicat quand on touche à des événements sociaux : avec les Gilets jaunes, beaucoup de photos ont circulé, il fallait faire du débunkage. Idem avec le coronavirus, pendant le confinement on a vu des choses circuler sur les comptes (des réseaux sociaux), notamment sur des solutions miracle, sur la chloroquine… Mais là aussi, il se trouve que le traitement médiatique n’était pas au top, il y avait des informations contradictoires. Ça nous a permis de débattre avec les jeunes, d’expliquer qu’il est nécessaire parfois de se faire sa propre opinion avec tout ce qu’on entend, qu’il n’y a pas toujours de vérité absolue.” 

Ces débats permettent d’aborder indirectement la question de la presse d’opinion, mais aussi les théories du complot.

« C’est là qu’on leur explique en effet que si on veut se convaincre que la terre est plate, alors on trouvera des dizaines de vidéos prouvant que la terre est plate. »

“Montrer que tout le monde peut se faire avoir”

Un article du « Vrai du Faux »

Au-delà du seul débunkage d’infos, le Vrai du Faux permet d’aborder des thématiques variées. 

“Le magazine, c’est un chemin par lequel on passe et à travers lequel on traite de questions de cyber harcèlement, de retouche d’image, de fake news, de deep face, mais aussi de clone de sites, de collecte de données, ou encore de traces qu’on laisse sur les réseaux sociaux. C’est un outil très complet”, confirme William Meyssonnier, dans la Drôme.

D’une durée d’1h15 à 2h, les ateliers sont souvent construits de la même façon : un premier temps individuel ou en petits groupes centré sur la lecture de tout ou partie du magazine ; puis un temps sur ordinateur ou tablette afin d’aller vérifier les informations ; enfin un moment collectif de débriefing. 

Mais à partir d’un socle commun, chaque animateur mène son atelier en l’adaptant au public, aux demandes de l’établissement, éventuellement au contexte. Chacun avec sa méthode.

“Je commence généralement mes interventions avec un faux article que j’ai créé avec des logiciels qui permettent de faire de la capture d’écran et de modifier le texte avec les mêmes caractères que La Tribune ou Le Progrès par exemple. Je mets en titre « un animateur un peu trop social » avec ma photo aux côtés de jeunes, et en texte c’est écrit “un animateur mis en examen pour trafic de stupéfiants”. Je fais une capture écran et je leur montre. J’attends souvent la fin de séance pour avouer que c’est un fake. L’objectif c’est surtout de montrer que tout le monde peut se faire avoir”, précise Damien Bouterra. 

Axer sur l’image 

Sophie Morel, elle, axe beaucoup ses interventions sur l’image.

“Les jeunes pensent tout savoir car ils sont nés avec le numérique, ce qui fait aussi qu’ils ont une grosse pression car tout le monde leur répète ça. Mais il y a des choses qu’ils ignorent, notamment sur les partages de photos : ils savent tous qu’ils faut faire attention, ils maitrisent parfaitement leur image, mais ils n’ont pas conscience que leur photo va rester sur le net.” 

L’animatrice jeunesse demande alors systématiquement à son groupe de taper leur nom et leur prénom sur Google, puis de se rendre dans les images.

“On regarde ensuite tout ce qui sort. Et là, certains réalisent qu’ils apparaissent en couche culotte, car leurs parents ont publié une photo d’eux comme ça. C’est le premier déclic pour qu’ils commencent à m’écouter”. 

Le travail des images du « Vrai du Faux »

Dans la Drôme, une version intitulée “Détox l’Infox”

Le « Vrai du Faux » a également sa version drômoise. Inspirée du « Vrai du Faux », celle-ci s’appelle “Détox l’infox”. Les ateliers durent alors trois heures et sont dispensés sur l’ensemble du département qui mène une politique proactive en matière d’éducation aux média. William Meyssonnier se concentre sur le sud du territoire.

“C’est un projet porté par le Département de la Drôme et ciblé sur les classes de cinquième, notamment via la mise à disposition de tablettes dans tous les collèges de la Drôme”.

Comme sa consœur, William fait un premier constat :

« Quand on observe leur méthode de vérification en ligne, on s’aperçoit que les collégiens baignent certes dans le numérique, mais qu’ils peuvent parfois se tromper sur des choses simples, comme le fait de confondre moteur de recherche et barre URL”. 

Les animateurs drômois ont eux aussi leur piège pour entamer les séances.

“On a créé sur clone zone – outil web permettant de créer de faux sites internet – une première page composée d’une capture écran du site de l’Académie de Grenoble qui annonce, avec une illustration de Fortnite, que le e-sport va faire son entrée au bac en 2021 en option ; en bas, il y a un petit lien : les plus curieux vont se rendre dessus, et ils tombent alors sur un site qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de l’Académie, sauf que c’est un clone. C’est une entrée en matière qui crée de la surprise, et donc du débat”. 

Le faux site de l’Académie de Grenoble par « Détox l’infox »

Débattre de la place du numérique dans la société

Le débat, c’est notamment celui de l’usage que les jeunes font de leur téléphone, et de la place du numérique dans leur vie et plus largement, dans la société.

Face à un public de collégiens, les animateurs doivent s’adapter à leurs codes et références. Le décryptage des relations entre presse et politique, c’est “quand on a vraiment le temps”, reconnaît Damien Bouterra.

“Si la séance le permet, je leur montre plusieurs premières pages de journaux, catégorisés d’extrême gauche à extrême droite, qu’ils doivent replacer par regroupement politique. Ça permet, en début de séance, de connaître leurs lectures, les journaux présents à la maison, et d’aborder les traitements différents d’un titre à l’autre”. 

Mais en général, les séances se concentrent surtout sur les réseaux sociaux et la place du numérique. Ce qui intéresse et touche plus directement les jeunes.

“On va par exemple insister sur le deep fake et ses dangers”, poursuit l’animateur. 

Même chose pour William Meyssonnier, qui sélectionne un article du « Vrai du Faux » afin d’élargir la discussion :

“Je leur passe un article sur la notation des citoyens chinois, puis je diffuse un extrait d’un épisode de la série Black mirror – série dystopique sur Netflix – sur la notation des citoyens entre eux. Et à chaque fois, il y a une poignée d’élèves qui pense que c’est vachement bien, alors ça lance une vive discussion critique sur la place du numérique et son impact dans la société.” 

Le « Vrai du Faux » sur la notation des citoyens chinois.

Vie privée, géolocalisation, droit à l’image, publicités, GAFA… Ici, on parle davantage de ce qui entoure immédiatement les jeunes que de la presse “traditionnelle”. Une façon de permettre à tous les élèves de s’intéresser à l’atelier, « parce que faire du fact checking pendant deux heures, ça fait saturer tout le monde”. 

“Alors c’est vrai que dans une classe de 25 élèves, on ne va pas toujours au bout du magazine mais les choses se recoupent, et puis on essaie d’individualiser les thèmes débattus selon l’établissement scolaire. Si le directeur nous dit qu’il existe un gros problème avec Snapchat, s’il y a du harcèlement, alors on va laisser de côté certains sujets et passer plus de temps sur les risques encourus sur internet et les traces qu’on laisse”. 

Parmi les références citées comme socle pédagogique, la série Dopamine sur Arte, composée de huit épisodes, dont un sur Snapchat, un autre sur Twitter…

Le « Vrai du Faux » s’intéresse à Snapchat en s’appuyant sur la série Dopamine diffusée sur Arte

“C’est très bien fait, celui sur Snap explique ce qui s’active dans le cerveau des jeunes pour les rendre addict, le fonctionnement des flammes, la stratégie économique du réseau social”.

V3 du Vrai du Faux

Depuis quelques mois, une V3 du Vrai du Faux existe. Elle permet aux animateurs formés à l’outil de créer leur propre magazine, pour individualiser un peu plus les thématiques abordées. 

“Je peux choisir d’axer sur le développement durable, la scolarité, les fausses infos, la différence entre corrélation et causalité”, détaille un animateur.

Un autre intérêt peut être de régionaliser les sujets. Même si le but c’est bien que la plateforme soit collaborative à l’échelle nationale, afin que chaque animateur puisse aller réutiliser le journal d’un collègue à l’autre bout de la France. “C’est une interface commune. On fait du local si on voit un article qui nous concerne plus directement”.

EMI et urgence climatique 

Preuve que le Vrai du Faux est un outil parmi d’autres, ou un point de départ, dans la Loire un groupe de jeunes encadrés par le réseau APIJ réalise en ce moment une “malle pédagogique” autour de l’urgence climatique. 

“Tout est parti d’un groupe qui s’est rencontré lors d’un premier séjour à vélo le long de la ViaRhôna. Ils ont eu envie de poursuivre à l’échelle européenne, et se sont intéressés à la question écologique. Ils sont partis au Sénégal, ont travaillé sur la montée des eaux, et ont réalisé des courts métrages autour de l’urgence climatique”.

Aujourd’hui, sur la chaîne youtube k’apij france, ils ont mis en ligne plusieurs courts métrage et une playlist « objectif 13 » – pour reprendre les 13 objectifs de développement durable fixés par la convention cadre des Nations Unies. A côté des vidéos, une revue est en cours de réalisation, sur le même modèle que le Vrai du Faux.

« Cette revue sera composée d’articles centrés sur le réchauffement climatique, où il faudra vérifier des infos, notamment sur le carbone dans l’atmosphère, les relevés de températures etc. Surtout, ce seront les jeunes qui utiliseront cette malle auprès des autres jeunes”.

L’idéal, ose Damien Bouterra, c’est même qu’à terme, les jeunes à l’initiative de cette malle forment eux-mêmes des enseignants qui pourront à leur tour utiliser l’outil avec leurs élèves. 

Un constat commun :  la nécessité de former les parents

Mais au-delà de l’éducation aux médias à destination d’un public jeune, il existe un point sur lequel les trois intervenants sont unanimes : la nécessité de former davantage les parents, souvent les premiers à relayer sur leurs comptes des fausses informations. Damien Bouterra explique toutefois avoir beaucoup de mal à les mobiliser.

“Quand on organise un atelier, ce sont toujours les convaincus qui se déplacent. On a très peu de monde en général”. 

Sophie Morel, à cheval sur les départements du Rhône et de l’Isère, partage le constat :

“ Les jeunes échangent énormément entre eux. Ils comprennent vite les risques des faux sites, des conséquences de publier des photos, même s’ils n’agissent pas toujours en fonction. A l’inverse je suis sidérée de voir le nombre de parents mettre des photos de leurs enfants en bas âge sur Internet. J’essaie alors de les sensibiliser en mettant sur mes comptes des articles à ce propos pour alerter du danger”.

Elle remarque de son côté une demande de formation de nombreux adultes :

“ils sont demandeurs car complètement perdus. Ils ne connaissent rien à Snapchat, aux réseaux sociaux en général, et ça leur fait peur”. 

Dans la Drôme, les structures jeunesse tentent justement de répondre à ce manque.

“Énormément de parents de collégiens nous disaient “votre intervention est très intéressante, mais vous arrivez trop tard”. Le diable arrive au moment de l’achat du premier smartphone, qui se fait aujourd’hui souvent dès le cm2 ou la 6ème”, complète William Meyssonnier.  

Avec l’association « Ici et ailleurs », ils ont créé un second volet à leurs interventions, déployé dans les écoles élémentaires. L’outil s’appelle “le parent numérique”, et s’adresse à l’ensemble de la famille.

« On est moins sur le détox l’infox et les fake news mais davantage sur la question du temps passé sur les écrans, la légitimité en tant que parent de déposer un cadre et des règles, et puis un peu de formation pour ceux qui n’y comprennent rien au numérique”, conclut l’animateur.

Dans la Drôme :

Année 2018-2019 : 124 classes et 3100 élèves ont été touchés

Année 2019-2020 : 152 classes prévues, 59 classes réalisées, 1475 touchés

Année 2020-2021 : 23 collèges positionnés, soit 124 classes et 3196 élèves

Dans l’agglomération Loire-Forez : 

10 interventions réalisées depuis 2018, avec des groupes d’une dizaine de jeunes. Environ 100 jeunes touchés (à partir de la 3ème)

Agglomération Vienne-Condrieu :

Format variable, certaines interventions découpées en plusieurs séances, ou séance unique. Actions en particulier dans le collège de secteur de Condrieu (Le Bassenon) tous les jeudis.

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