Avec Kids-Matin, s’informer est un jeu. Le site Internet coloré explique l’actualité aux plus jeunes, répond aux questions qu’ils se posent à leurs âges. Participatif, il amène aussi les enfants à discerner les « fake news » et décortiquer la construction de l’info. Une version magazine accompagne désormais chaque semaine les éditions des quotidiens du groupe Nice-Matin.
« Les Fake News ? Oui, sur Internet, ces personnes qui postent des faux trucs… ». Du haut de ses 10 ans, Guillaume Murat est abonné à Kids-matin et a déjà une petite idée de ce qu’est une information digne de confiance. Comme les grands, il lit son journal du groupe Nice-Matin chaque semaine, « quand [il a] le temps » dit-il, apparemment bien occupé.
Le site préféré de Guillaume annonce la couleur, ou plutôt les couleurs: dès le premier clic, une pluie de pastels éclate sur l’écran. Ce 26 mars, c’est l’astronaute français, Thomas Pesquet, qui est à l’honneur. Dans les « 5 trucs à savoir » concernant le futur commandant de bord de la Station spatiale internationale (ISS), on apprend qu’il sera mené à manger l’emballage de la nourriture embarquée.
La lecture de l’article pédagogique se transforme en jeu. Les jeunes lecteurs donnent leur avis sur l’article à coup d’emojis comme sur les réseaux sociaux. Ils répondent à de petits QCM. « La surface de l’ISS est environ égale à un terrain de tennis ? Une piscine olympique ? Un terrain de foot ? » est -il demandé. Y répondre débloque la suite de l’article et rapporte des points.
Plus l’enfant clique sur des publications, pose des commentaires, donne son avis, plus il engrange des points. L’avatar que le jeune padawan de l’actualité a choisi évolue. Simple « élève », il peut devenir « boss suprême » si il dépasse les 10 000 points. Ces points peuvent se convertir en cadeaux : des livres ou des sorties. Guillaume dépense généralement les siens en bouquins alors que son petit frère Thomas, 7 ans, a visité une exposition sur les dinosaures.
Des sons, des vidéos ou même de petites BD facilitent la plongée dans l’information. Les trois journalistes aux manettes, Sandrine Beigas, Aurélie Selvi et Sophie Rambure sont toutes trois devenues de véritables couteau-suisse du journalisme. La journaliste Aurélie Selvi s’amuse :
« Ce boulot a totalement libéré ma créativité. Quand tu en viens à te dire un matin en réunion : « tiens, pour mon sujet sur le rôle du maire, je personnifierais bien un citron, dessiné par une collègue d’agence », là oui, je me dis que ma pratique a changé. »
Aurélie Selvi est notamment passée par Le Parisien et a animé bénévolement des ateliers d’éducation aux médias dans des écoles.
Le père de Guillaume, Laurent Murat, ingénieur en informatique, apprécie ces articles « qui se mettent au niveau des enfants » et utilisent un vocabulaire à leur portée.
« Il faut aborder les sujets comme si le lecteur n’en avait jamais entendu parler puisque c’est souvent le cas des enfants », note une autre journaliste du site, Sandrine Beigas qui travaillait auparavant pour Le Journal des enfants en Belgique.
Le monde coloré de Kids-Matin a dû affronter le terrible Covid. Le site a continué d’informer les moins de 13 ans sans être anxiogène et a cherché à désamorcer les angoisses. À la suite du premier confinement la rédaction a tenté de répondre « à toutes » les questions concernant le retour à l’école.
« Est-ce qu’on va rentrer tous en même temps? »,
« Comment ils vont faire si les enfants restent à la maison? »
« Est-ce que j’ai le droit de jouer avec mes copines en récréation? »
ont demandé les abonnés. Les journalistes ont apporté des réponses concrètes sans se départir de quelques notes d’humour :
« Les repas pourront être pris directement… dans la classe sous la surveillance d’un adulte. Attention aux taches de sauce sur les cahiers 😉 ».
Lire Kids-Matin c’est Adopter un média dès l’enfance
Les plus jeunes se familiarisent ainsi à grands pas aux sites d’actualité, et plus généralement aux médias. L’intention du groupe Nice-Matin, qui a lancé Kids Matin à la rentrée 2018, n’est pas désintéressée.
« L’idée était de créer une offre pour aller chercher les plus jeunes, histoire de préparer l’avenir et les habituer à la marque Nice-Matin dès l’école »,
explique le responsable digital de Nice Matin à l’origine du projet Kids-Matin, Damien Allemand.
« Les lecteurs de Nice Matin version papier sont de plus en plus vieux. L’un des principaux motifs de désabonnement est.. la mort. L’audience sur le web est beaucoup plus jeune. Mais nous avons quand même du mal à toucher les moins de 24 ans »,
qui représentent seulement 12% de son audience.
Ce site, ce sont les enfants qui l’ont mis au point. Le choix des couleurs, du logo, du contenu et même le nom est le fruit du remue-méninge de jeunes lecteurs.
« Tout a démarré par un formulaire en ligne sur notre site. On a annoncé que l’on travaillait sur une offre pour les jeunes, en expliquant qu’on partait d’une feuille blanche. Deux milles personnes ont répondu ».
Durant plusieurs après-midi, ils ont donné leur avis en « s’amusant », spécifie Damien Allemand.
Cette participation ne s’est pas démentie par la suite. Les abonnés continuent de construire l’information. Un onglet sur le site les incite à poser des questions aux deux journalistes. Elles y répondent par les articles « Y’a qu’à demander ! ».
Guillaume s’interrogeait, par exemple, sur ce qu’était cette mystérieuse « Ile de Pâques » un nom qu’il avait croisé dans plusieurs histoires, et a été très intéressé par l’article « D’où vient la Pizza ? ». « Y’a qu’à demander ! » est aussi une chaîne de podcast disponible sur Spotify.
En temps normal, les journalistes reçoivent une dizaine de messages par semaine. Lors du premier confinement c’était plus du double qui était envoyé quotidiennement.
A Kids-Matin, on parle de Kids-reporters
Les abonnés se transforment aussi, à l’occasion, en Kids-reporter et plongent dans l’envers du décor d’un reportage. Pour la rubrique « une journée avec… », ils accompagnent une personne qui accomplit le métier dont ils rêvent.
Guillaume a ainsi suivi les traces de Noëlle, conductrice de tramway à Nice. Kids-Matin organise des rencontres avec les stars préférées des plus jeunes. Kew Adams, Soprano, Jenifer ou encore le créateur du jeu de société le Jungle Speed, Thomas Vuarchex, sont passés derrière les micros des apprentis journalistes.
« En participant au tournage, en préparant leurs questions, ils apprennent comment un journaliste travaille. Leurs questions ne sont pas les nôtres. Elles sont moins galvaudées que ce que les journalistes rompus à l’exercice peuvent produire. Leur candeur porte un regard neuf sur les sujets », note Aurélie.
L’éducation aux médias se poursuit par la rubrique « Anti-fake news ».
« L’idée est de leur apprendre à se dépatouiller avec les informations qui peuvent voir sur les réseaux sociaux et les amener à vérifier les informations eux-mêmes »,
souligne la journaliste.
« Sauras-tu déjouer les fake news autour du coronavirus? »
se demande un article. Et non, ni l’ail, ni l’huile de sésame, ni le citron ou encore le miel ne permettent de se prémunir. Sous forme de tutos, les journalistes expliquent comment il est aisé de trafiquer un site ou ce qu’est une source, donnent les astuces pour démasquer une photo détournée… C’est la seule rubrique que Nice-Matin a imposé.
« Un peu moins d’abonnés que prévu »
La recette qui associe sérieux et amusement, informations et jeux porte ses fruits. Le budget de Kids-Matin est à l’équilibre sans bénéficier d’aucune subvention selon Damien Allemand. Comme il le souligne, le site compte « un peu moins d’abonnés que prévu ».
Lors du premier confinement, les 60 jours d’essai gratuit a attiré les parents. Le site a compté environ 1300 inscrits et s’est aujourd’hui stabilisé autour de 500 abonnés fidèles. C’est la générosité des abonnés qui a permis « d’être financièrement dans les clous ». Le prix est en effet libre ce qui a pu être « déstabilisant pour les parents. » Le groupe avait misé sur une contribution à hauteur de 3 euros, elle est plus proche des 5-7 euros par mois.
Depuis le 17 février, Kids-Matin a franchi une nouvelle étape. Il est aussi un magazine hebdomadaire qui accompagne les éditions du groupe Nice-Matin. Il cherche à répondre aux attentes des enseignants qui ont été sondés l’été dernier. « Cet hebdo va faire l’objet d’une grande campagne d’abonnement à destination des professionnels de l’éducation pour la rentrée prochaine », informe Aurélie Selvi.
L’éducation aux médias comme l’est pratiqué par Kids-Matin, ne s’arrête pas au seul site Internet et au magazine. Sandrine et Aurélie répondent aux sollicitations des écoles ou des associations tout au long de l’année. À chaque intervention le public est mené à produire un contenu. Les élèves de primaire peuvent ainsi être amenés à enregistrer des flash radios en conclusion d’une journée d’initiation.
La rédaction de Kids-Matin a travaillé à la coréalisation d’un Web JT avec des élèves du collège Les Bréguières de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes).
La complicité et l’enthousiasme des deux journalistes transparait par leurs sourires et l’élan donné pour raconter leurs expériences. Pour Aurélie, il est
« Encore possible avec ce genre de public d’expliquer, de faire tomber des clichés, quand les lecteurs adultes sont déjà, pour beaucoup, complètement bloqués dans leurs préjugés à notre égard les journalistes. »