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En Chartreuse, une résidence de journalistes portée par le collectif de pigistes We Report

actualisé le 30/06/2021 à 17h09

Depuis plusieurs mois, des journalistes du collectif de pigistes lyonnais We Report mènent des ateliers d’éducation aux médias dans le cadre d’une résidence de journalistes en Chartreuse. L’originalité du projet tient à la diversité des structures et du public visé, entre les écoles primaires et le Centre social des Pays du Guiers.

Quelques kilomètres séparent Saint-Laurent du Pont du village d’Entre-Deux-Guiers. Une route encerclée par les massifs de la Chartreuse, entre l’Isère et la Savoie. C’est cette départementale que les deux journalistes de We Report, Daphné Gastaldi et Alberto Campi, empruntent ce jeudi de juin pour se rendre à leurs ateliers respectifs.

Derrière la mairie d’Entre-deux-guiers, l’école primaire doit accueillir Daphné pour une intervention de 2h. Il est 13h30 passées quand les élèves de CP remontent en classe. Leur professeure fait le compte : 25, la classe est au complet. 

En installant son power point, la journaliste montre un peu d’appréhension. 

La journaliste Daphné Gastaldi dans une une classe de CP d’Entre-deux-Guiers. ©MH/Rue89Lyon

“C’est la première fois que je vais tester ma séance sur un public aussi jeune”. Elle ajoute alors, à l’intention de l’enseignante : “Ça bien marché avec les CE2 mais n’hésitez pas à me reprendre si j’utilise des expressions trop compliquées ou des références qu’ils n’ont pas à cet âge”. 

Tout le monde assis face à son bureau, l’intervention démarre avec une présentation.

“Je suis journaliste, ça veut dire que j’écris des articles, je fais de la radio, et parfois un peu de télé. Mais aujourd’hui les journalistes peuvent aussi faire des reportages et des enquêtes en BD”.

Accrocher l’attention des élèves

Si l’atelier est vendu comme une « initiation aux fake news », il faut en préambule poser quelques bases.

« Même si on est souvent sollicités par les établissements scolaires sur la question spécifique des fake news, car c’est ce qui fait peur, je ne parle pas que de ça. Sur deux heures, je passe presque la moitié à expliquer ce qu’est un journaliste et une information, avant de passer aux fausses infos. « 

La pigiste explique ainsi les différentes facettes de son métier, les formats et supports médiatiques, et détaille certaines de ses expériences – les plus parlantes pour interpeller les élèves, comme la fois où elle a fait un reportage sous l’eau pour interviewer des spécialistes des fonds marins en Nouvelle Calédonie. 

Au total, le collectif a réalisé 60h d’interventions lors de cette résidence.

“Vous voyez, un journaliste peut être très bien habillé et travailler le lundi dans un bureau, et le lendemain être sous l’eau pour un reportage”.

L’anecdote impressionne les écoliers et accroche leur attention.

« Les reportages à l’étranger font toujours partie des questions des élèves. Même si je leur explique que j’emmène mon micro mais pas mon maillot de bain, car je ne suis pas en vacances ! », sourit Daphné.

Elle interroge ensuite les élèves : connaissent-ils France 2 ? Et sinon, quelle autre chaine de télé ? Est-ce qu’ils la regardent le soir en famille ? Et la radio, peut-être en voiture quand leurs parents les amènent à l’école le matin ?

“Nous on a la télé mais c’est avec le wifi de l’ordinateur”

“Moi je regarde le journal télé le soir avec mes grands parents”

“Tous les soirs sur le canapé, on regarde TF1. “ Nous aussi, mais France 3 !”

Et la radio ?

“Moi, et ben j’écoute France…Inter je crois.”

“Nous c’est souvent en cuisinant avec papa à la maison.”

Les questions permettent de sonder les habitudes et les pratiques. De se rendre compte, aussi, du rapport aux différents médias et de leur sensibilisation à Internet, à leur âge.

« Youtube, c’est pour gagner de l’argent ! »

« Est-ce que vous pouvez me donner des noms de sites Internet ? » interroge l’intervenante.

Silence.

Et YouTube ?

Carton plein. Tous les doigts se lèvent et les élèves s’empressent de nommer leurs youtubeurs favoris. Cette porte d’entrée permet d’enchaîner sur les réseaux sociaux. Interrogés, les enfants expliquent « en avoir entendu parler mais ne pas connaître ». Pourtant, lorsque la journaliste fait défiler la slide de son power point avec les logos des différents réseaux, les élèves surprennent leur enseignante en arrivant à tous les nommer.

Certaines réponses sont impressionnantes. L’air de rien, les élèves semblent déjà savoir plein de choses. “Les youtubeurs que vous regardez, pourquoi ils font leurs vidéos à votre avis ?” Très naturellement, un élève répond “pour gagner de l’argent”. 

« C’est comme les fausses infos ! Ça fait beaucoup de like donc des abonnements donc de l’argent”

Lors de la séance, la journaliste distille quelques définitions, en s’appuyant sur des supports vidéos du Clemi.

“Une information ce sont des éléments vérifiés qui intéressent les citoyens. C’est différent d’une rumeur ou d’un ragot. Une vidéo de chat par exemple, c’est mignon, mais ça n’intéresse personne ! »

« La base du métier, c’est vraiment de vérifier. On doit recouper nos sources avec au moins trois personnes. » 

Un élève lève la main :

“moi j’ai une petite information. Je suis né à la Réunion !”

Sourire de l’intervenante, qui précise :

“Alors si je fais ta biographie, tu vois, ça m’intéresse. Mais si je parle de l’école dans un article, ça ne sera pas intéressant à préciser”.

S’en suit une présentation rapide des 5W, qui  » vous serviront toute votre vie même pendant les exposés”, puis une petite série d’exercices pratiques pour rendre les enfants actifs.

Journaliste ou non-journaliste ?

En faisant défiler des images, les élèves doivent déduire si les personnes représentées sont ou non des journalistes.

Exercice pratique lors de l’atelier : Vrai ou faux journaliste ?

Première photo, presque trop facile. Un élève s’exclame :

“oui, parce que ya écrit 20h week-end derrière le plateau !”. 

Les suivantes comportent quelques pièges, avec une journaliste en visio sur Youtube, assise sur son canapé, et puis, bien sûr arrive… Cyril Hanouna, sur le plateau de Touche pas à mon poste, portant un déguisement. Cette fois, la réaction est unanime – il ne s’agit pas d’un journaliste – mais aucun élève n’est capable d’expliquer pourquoi.

“En effet c’est assez complexe, parce qu’aujourd’hui certaines émissions font un peu des deux, du journalisme et du divertissement. Mais là, dans cette séquence, on voit qu’ils sont déguisés. Est-ce que vous pensez que les journalistes se déguisent pour donner des infos ? C’est pour ça qu’ici il s’agit d’un animateur télé”.

La journaliste Daphné Gastaldi explique la différence entre « communication politique » et « journalisme »

En faisant défiler la photo d’Emmanuel Macron face aux youtubeurs McFly et Carlito – reçus à l’Elysée le 23 mai 2021 -, la journaliste s’exclame :

“Il y a des micros mais vous n’êtes pas tombés dans le piège. Là, on est vraiment pas dans du journalisme”. “On est dans de la communication politique”.

Le concept est un peu compliqué et le temps imparti ne permet pas d’entrer dans le détail des notions. C’est l’une des difficultés de la séance. En deux heures, difficile de tout traiter : déontologie, 5W, sources, information, photomontages, trolls et réseaux sociaux,…

Le jeu d’après se concentre sur les fake news avec un quizz appelé “infos vraies ou vrais mensonges”.

Daphné Gastaldi prend notamment comme support la photo de Mauricette, première personne vaccinée en France contre la covid-19. Un (tweet avait annoncé son décès le lendemain du vaccin. Une fake news assez rapidement révélée sur le réseau social, grâce à l’interpellation de plusieurs internautes ayant questionné la véracité du tweet. Son auteur avait d’ailleurs reconnu être anti-vaccin et vouloir faire adhérer du monde à sa cause en publiant cette fake-news.

Initiation aux fake news : le cas pratique d’un faux tweet en contexte de pandémie de Covid-19.

La séance se termine avec les deepfake. La journaliste montre alors le compte parodique de Tom Cruise. Le « faux Tom Cruise » lui-même ressemble fortement au vrai. La professeure interroge à son tour :

« Comment faire pour déceler le vrai du faux, quand c’est aussi bien fait ? Parce que si c’est essentiel à leur âge, je pense que les adultes aussi nous avons du travail à faire ».

« Ce n’est pas toujours facile, il faut se méfier, essayer de vérifier le compte qui publie, on fait attention aux petits décalages de son et d’image… et puis des logiciels existent aussi pour détecter les photos et les vidéos. Mais parfois c’est compliqué ! C’est pour ça que le message sur lequel j’insiste aujourd’hui c’est de toujours être un peu critique face à ce qu’on voit. Faites attention avant de relayer une information ou une photo. Regardez si les journalistes en parlent, demandez aussi à vos parents ou vos enseignants. » 

« Missions commando » VS ateliers au long cours

A la fin de la séance, la journaliste souffle :

“je suis vraiment agréablement surprise. Je ne pensais pas que ça fonctionnerait aussi bien avec des élèves si jeunes. Bon, à part la référence à Tom Cruise, qu’ils n’avaient pas du tout et les attentats du 11 septembre !”

En deux heures, l’exercice est sportif. Daphné Gastaldi parle de « missions commando ».

« Bien sûr en si peu de temps, on ne peut pas être exhaustif, mais je pense que c’est utile malgré tout car il y a forcément des petites choses qui vont marquer les élèves, c’est un point de départ. On veut vraiment venir en renfort du travail des enseignants, c’est un jeu d’équilibre et de collaboration. Et on voit bien que ça a du sens, car les professeurs nous demandent toujours de leur envoyer nos outils après l’intervention (« détecteur de fake news », power point…). Et puis on vient avec notre légitimité de journalistes professionnels. »

Les journalistes de We Report ont construit un outil : le « détecteur de fake news »

L’analyse est partagée par Rachel, animatrice au Centre social des Pays du Guiers.

« Ces interventions sont vraiment intéressantes pour nous et notre public parce qu’on n’a pas le temps ni le budget de les mettre en place tous seuls. On fait de l’initiation mais avec les journalistes on peut aller plus loin. » 

Car en parallèle des ateliers ponctuels, les journalistes de We Report ont porté des projets au plus long cours, à la fois en milieu scolaire et au sein du Centre social. Ces dernières interventions étaient faites en grande partie par Alberto Campi, photojournaliste de We Report. Pendant plusieurs semaines, il a mené des ateliers le mardi et le jeudi avec deux groupes de jeunes.

Alberto Campi intervient le mardi et le jeudi au Centre social des deux Guiers.

« Ce sont eux qui ont choisi sur quoi ils voulaient travailler. Le mardi, on est partis sur l’idée de construire un reportage. Le jeudi, on travaille sur les fake news. Au départ les éducateurs avaient suggéré de construire notre propre fake news, mais je n’étais pas trop d’accord, je préfère leur apprendre à les décoder qu’à les créer », explique-t-il.

En résidence de journalistes, travailler sur le sens des images plus que sur la technique photo

L’atelier du jeudi démarre à 16h45, jusqu’à 18h. Le petit groupe est composé de quatre jeunes âgés de 9 à 11 ans : Lindsay et son frère Calvin, Janny et Mael. Autour de la table à leurs côtés, Anne-Sophie, bénévole du Centre social et Alexandre, l’animateur en charge de l’atelier.

Ce jour-là, c’est atelier pratique. Chacun s’équipe d’une feuille, une image et d’un tube de colle. A leur tour, ils doivent, comme lors de l’atelier mené par Daphné le matin, déceler si l’image est une vraie photo ou un photomontage. Ils vont mettre en pratique des réflexes enseignés lors de séances précédentes.

Les jeunes ont un exercice pratique : trouver si les images sont des photomontages ou de réelles photographies

“Rappelez-vous : pour dévoiler une fake news, on doit chercher tous les détails. Regardez bien les ombres et les reflets”.

Le photographe est pris au mot. A tel point que les élèves se mettent à voir des signes partout, dans chaque détail de l’image. D’ailleurs, quand Alberto projette sur l’écran le site de National Geographic et parcourt les photos d’animaux, les jeunes sont persuadés que toutes sont truquées !

“c’est un peu un biais, reconnaît-il. Comme on travaille sur les photomontages, ils sont persuadés que tout ce que je leur montre est faux et voient même des signes qui n’en sont pas”.

« Surtout, le problème, c’est qu’on a notre bagage culturel, nos connaissances, qui ne sont pas les mêmes que les leurs. Pour moi, National Geographic est une référence. Mais leur dire de se fier aux médias « traditionnels » ou connus ne fonctionne pas forcément ».

Chercher l’auteur, vérifier la véracité des sites sur lesquels l’image est publiée, vérifier la date, apprendre à faire des recherches sur Internet pour remonter à la source de l’article… Lors de ces séances, les journalistes transmettent et répètent les « astuces » pour mettre en pratique leur esprit critique et se méfier de ce qui circule sur les réseaux sociaux.


Le groupe est composé de quatre jeunes, d’une bénévole et de l’animateur du Centre social.

Sur une photo, Lindsya tente une analyse :

“On voit que c’est pas beaucoup partagé, alors ça veut dire que c’est faux.”

Sur une autre, Calvin finit par déduire :

« Du coup ce qui est une fake news c’est pas la photo, mais la description qui va avec.”

En fin de séance, Alberto évoque la question des droits à l’image et le rôle de Wikipédia.

Toujours dans le cadre de la résidence, le photojournaliste va enfin organiser une semaine d’ateliers dans un centre de loisirs des pays du Guiers, fin août, avec deux groupes d’enfants de 6/8 ans et de 9/12 ans.

« Il s’agit de photographie participative, d’éducation à l’image en travaillant surtout sur le langage photo, plus que sur la technique ».

Un autre projet d’éducation numérique a quant à lui été annulé à cause de la crise sanitaire. A la place, l’intervenant a passé 6h sur le langage photographique avec, cette fois, un public composé de familles.

La résidence de journalistes, c’est aussi questionner la pratique journalistique

« J’adore ces ateliers car j’apprends moi aussi énormément, j’apprends en entendant leur vision, leur analyse. Surtout quand j’utilise mes propres photos, ça apporte un autre regard. »

« Qu’il s’agisse d’ateliers avec les adultes ou les enfants, je n’ai pas “trouvé de murs dans la tête. Ils étaient ouverts, sans idée préconçue comme ça peut être le cas avec des photographes amateurs ou professionnels. »

En matière d’éducation aux médias, les résidences de journalistes organisées ou menées par des collectifs de pigistes sont de plus en plus fréquentes. Elles offrent un intérêt pour le public qui bénéficie des interventions, mais aussi pour les intervenants eux-mêmes, poussés à mener ainsi une réflexion sur leurs pratiques et se confronter au regard et aux questions de personnes jeunes, peu informées via les moyens d’information « classiques », ou comme le disait Alberto, présentant un bagage culturel différent.

“En tant que pigiste, c’est une activité vraiment intéressante, mais il faut réussir à maintenir un équilibre entre le journalisme “pur” et les ateliers d’éducation aux médias », souligne toutefois Daphné Gastaldi.

« Ces derniers temps, avec le collectif on reçoit de plus en plus de sollicitations des établissements mais on ne peut pas tout accepter. L’idée n’est pas de faire plus que ça. Surtout qu’on perdrait en légitimité lors des interventions.” 

Depuis 2015, les journalistes de We Report ont participé à plusieurs autres projets d’éducation aux médias, donnant lieu à des productions multimédia.
Parmi les projets réalisés ces dernières années : une itinérance autour de la liberté de la presse en Bosnie-Herzégovine avec des étudiants en journalisme de l’université Clermont-Auvergne ; un projet de webdocs citoyens avec une vingtaine de lycées de la région Auvergne-Rhône-Alpes ; ou encore un projet européen transfrontalier entre la France et l’Italie dans huit collèges de Haute-Savoie et de la Vallée d’Aoste.

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