Dans la région de Lyon, des ados peuvent se mettre dans la peau d’un Youtubeur, au cours d’une « colo Youtube ». Une action d’éducation aux médias proposée par l’association Vitacolo. Reportage à Dardilly, près de Lyon.
Dans le couloir du lycée horticole de Dardilly, à quelques kilomètres de Lyon, Angélique sourit face caméra, la perche du micro tendue à quelques centimètres de son visage. Devant elle, sa camarade Camille lance l’enregistrement. « Moteur, silence, action ».
« Salut les petits potes ! Aujourd’hui, je vais vous emmener visiter les lieux. D’abord, on passera voir les activités en cours, le projet légo, le théâtre Et puis on ira voir le foyer, la cour, le terrain de sport… Suivez-moi ! »
Cheveux courts et sweat rouge, l’adolescente de 14 ans entame sa déambulation dans les salles du lycée, suivie par ses deux acolytes en charge de la technique. Plus tard, elles échangeront leurs rôles, afin que toutes passent devant et derrière la caméra.
Création d’un « vlog » sur la colo
Pendant une semaine, un petit groupe de six jeunes joue les « youtubeurs en herbe », du nom de l’activité proposée et encadrée par l’association Vitacolo. Organisée lors des vacances scolaires, la colo propose à des jeunes âgés de 10 à 17 ans de se mettre dans la peau d’un Youtubeur.
« L’idée est de leur montrer tous les aspects de la création d’une chaîne. Ce qui se passe devant la caméra, mais aussi l’envers du décor, l’écriture de scénario, la maîtrise du son et de l’image, et puis le montage des rushs », détaille Sarah, l’animatrice en charge de l’activité Youtube.
L’association est d’ailleurs bien équipée. Fond vert pour s’entraîner, caméra et perche micro, logiciel de montage Adobe première pro. Quant au montage, il se fait sur les ordinateurs du lycée.
Après s’être essayés aux différents outils, le petit groupe a décidé de créer un vlog : un blog sous forme de vidéo racontant le quotidien de la colo.
« Quand la chaîne sera créée, on veut aussi faire des interviews avec les jeunes des autres projets », ajoute Valentine, 11 ans et demi.
Pour toutes, il s’agit d’une première expérience.
« J’ai déjà réalisé une stop motion chez moi : j’ai installé mes playmobil, et je les ai bougés en les filmant. J’ai appris qu’il faut 5000 images pour obtenir 5 minutes de vidéo », explique Valentine.
Angélique, elle, est une grande fan de la Team Crouton sur Youtube.
« J’ai vu toutes leurs vidéos, du coup je connais bien les chaînes et les vlogs, je sais comment ils parlent devant la caméra, mais c’est la première fois que je crée la mienne », s’enthousiasme la jeune fille.
Discrète, Camille, elle, explique vouloir « imaginer et comprendre ce que les youtubeurs ressentent, quand ils tournent ».
De retour dans la salle de classe, Valentine et Angélique s’installent derrière un poste pour dérusher et renommer la dizaine de vidéos tournées dans l’après-midi. Epaulé par Sarah, Lucas, 11 ans, a entamé le montage de la première scène tournée le matin. Minutieusement, il écoute et réécoute chaque vidéo pour couper et monter ensemble les meilleures prises. A la fin de la semaine, lors de la dernière veillée, ils montreront le contenu de leur chaîne au reste de la colo [le contenu privé de la chaîne présentant des mineurs n’est visible que des administrateurs de Vitacolo].
Colo Youtube, éducation aux images et aux réseaux sociaux
L’atelier est également l’occasion de discuter des fake news.
« Comment repérer une bonne fake news ? », interroge Sarah, l’animatrice. « Aujourd’hui vous l’avez vu, tout le monde peut avoir sa chaîne Youtube et raconter ce qu’il veut. »
L’accompagnatrice lance alors un petit jeu. Divisés en deux groupes de trois, les adolescents doivent déterminer, parmi un panel de photos légendées, lesquelles semblent fiables, et celles à ranger dans la catégorie « fausse information ».
« Le navire est beaucoup trop bien posé sur la colline pour être lié au tsunami”, assure Valentine.
« Internet sur la lune ? Pourquoi pas ! », hésite Camille. « Après tout on ne sait pas tout ce qui s’y passe ».
« Mais ça ne servirait à rien ! », rétorque son frère Lucas.
Le brainstorming dure une dizaine de minutes, avant le retour collectif.
Sarah sourit et leur donne les réponses.
« Et pourtant si, c’est vrai : la 4G va bien être installée pour contrôler des robots lunaires ».
L’exercice n’a pas vocation a être exhaustif en matière de chasse aux fake news.
« J’essaie de leur faire comprendre qu’il faut savoir remettre en question ce qu’ils voient et ce qu’ils lisent, c’est vraiment le message principal ».
S’adressant au groupe, elle ajoute :
« Dans vos différentes réponses, il y a déjà plusieurs outils qui doivent vous permettre de vous questionner. Certaines choses ne vous semblaient pas crédible sur le plan scientifique, et donc ça attirait votre méfiance ; parfois, c’est la photo qui ne colle pas avec le texte ».
Interrogée sur son rapport à l’information, Angélique reconnaît :
« En temps normal [quand il ne s’agit pas d’un exercice], je trouve parfois que certaines infos ou photo sont bizarres, mais je me pose pas plus de questions que ça”.
Colo Youtube : « être une colo avant tout, avec des valeur de colo »
Le projet Youtube fait partie d’un panel d’activités proposé par l’association. Ici, pas de recours à des prestataires extérieurs, tout se passe dans l’enceinte du lycée horticole. Pierre Vallet est le directeur pédagogique de Vitacolo.
« C’est une façon de créer un lien privilégié avec les jeunes. Dès 6 ans, ils peuvent choisir leur projet : Youtube, légo, théâtre, manga. On parle de projets passion. Ils choisissent une activité qui les attire ou dans laquelle ils ont déjà un certain savoir-faire. L’idée, c’est ensuite de les laisser apprendre les uns des autres, leur permettre de réfléchir et travailler collectivement, en équipe. C’est plus un moyen qu’un but en soi, même si c’est toujours valorisant d’arriver à produire quelque chose à la fin de la semaine. Mais on reste avant tout une colo, avec des valeurs de colo ! »
Ainsi, le temps thématique consacré à la partie « projet » représente en moyenne deux heures par jour. Le reste de la journée est consacré aux activités plus classiques d’une colonie de vacances : les veillées, le sport, les animations. Sans oublier les moments plus informels de la vie quotidienne.
« Nous avons notamment un temps de forum tous les soirs qui est un espace pour parler de tout : l’alimentation, le sommeil… C’est là que le premier jour, les jeunes ont établi eux-mêmes “la déclaration des lois de la colo” pour apprendre à s’auto-réguler. Mais une colo, c’est aussi l’occasion d’aborder des sujets plus graves comme le harcèlement, la violence, notamment sur les réseaux sociaux », poursuit le directeur de l’association.
On ne représente ni l’école, ni la famille. On est comme une bulle ; on côtoie les jeunes pendant huit jours, puis ils repartent à leur vie. C’est parfois plus facile de se livrer dans un cadre-là, et c’est notre rôle en tant qu’accompagnateur de tisser des liens de confiance pour pouvoir parler de tout.
Sensibilisation des animateurs de colo
Parler de tout, c’est justement aborder la place du téléphone lorsqu’on est adolescent. Sur 27 jeunes présent·es cette semaine de février, moins de cinq n’ont pas de téléphone portable. Et pour cause, ce sont celles et ceux âgé-es de moins de dix ans.
« Alors bien sûr on essaie de faire de la prévention sur la place des écrans et tout ce qui circule sur les réseaux sociaux. Ce ne sont pas des sujets qui doivent rester cantonnés à l’activité Youtube. Moi, je passe mon temps à leur répéter le slogan suivant : « si c’est gratuit, c’est toi le produit”! », continue Pierre Vallet.
Avant de rejoindre Vitacolo, le directeur pédagogique a travaillé au sein d’un BIJ – Bureau Information Jeunesse. C’est là qu’il a compris la nécessité d’être sensibilisé aux enjeux liés aux réseaux sociaux.
« Pour autant, il faut bien comprendre que les jeunes qui passent le BAFA aujourd’hui ont eux-mêmes 17 ans. Ce sont encore des adolescents », sourit le directeur.
Au sein des formations BAFA qu’elle dispense, l’association Vitacolo propose des approfondissements avec une formation spécifique dédiée aux écrans.
« Mais on n’est pas formés à l’éducation aux médias en tant que telle. C’est une expérience qu’on acquiert sur le terrain, de la même manière que les animateurs apprennent petit à petit à repérer les signes de mal-être, les comportements inquiétants… », abonde Pierre Vallet.
Au sein de Vitacolo, l’association a fait un choix : ne pas dépasser 5 ou 6 jeunes pour un animateur. Ailleurs, assure l’équipe, c’est généralement un pour 8, ou pour 12 selon l’âge des enfants.
Les prochaines colos Youtube « version courte » d’une semaine auront lieu lors des vacances de printemps, du 16 au 23 avril. Durant l’été, les jeunes partiront 12 jours, à Obernai en juillet, puis à Gap au mois d’août.
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