« Dessine moi le monde de demain » : à Vénissieux, un collège s’essaie au dessin de presse
A Vénissieux, dans le quartier des Minguettes, les élèves d’une classe de 6ème du collège Jules Michelet ont réalisé des dessins de presse, accompagnés lors de cinq séances par le dessinateur Xavier Lacombe. Les œuvres produites ont été exposées à la Médiathèque de Vénissieux.
Des pingouins sur la banquise à la déforestation causée par l’huile de palme dans le Nutella, en passant par le plastique, les pesticides et l’extraction pétrolière.
Chacun des dessins, qui étaient exposés à la Médiathèque de Vénissieux du 19 mars au 2 avril 2022 a été conçu par les élèves de la classe de 6ème B du collège Jules Michelet, en parallèle des « Rencontres internationales du dessin de presse ».
Un projet autour du dessin de presse, fruit d’un partenariat entre l’association Ça Presse et le collège Jules Michelet de Vénissieux
Il y encore quelques mois, aucun n’avait pourtant entendu parler de dessin de presse. Et personne, au sein des élèves, ne connaissait le métier de Xavier Lacombe, dessinateur pour Marianne, Siné Mensuel, Urtikan, ou encore Mazette.
« D’abord on cherchait une idée, le thème du dessin, ensuite on regardait des photos sur internet pour nous aider à dessiner », raconte Mohamed.
Le projet a été initié par Ça presse, association d’éducation aux médias et, particulièrement, au dessin de presse, et mené conjointement par Xavier Lacombe et trois enseignantes du collège. Ces dernières avaient choisi le thème : le réchauffement climatique, avec un focus sur l’Amérique latine.
« On s’attendait à avoir quelques réticences des élèves du collège ou de leurs parents, à l’idée de travailler sur les caricatures. En fait, rien. » abonde Margaux Padey, professeure d’histoire-géographie. D’autant que le fait d’avoir choisi la question du réchauffement climatique a permis d’éviter dès le départ le côté négatif de la caricature. C’était une façon de montrer qu’il s’agit d’un style de dessin qui ne concerne pas que la religion ».
« On s’attendait à avoir quelques réticences des élèves du collège ou de leurs parents, à l’idée de travailler sur les caricatures. En fait, rien. »
Le projet s’est déroulé en plusieurs phases. Avant l’arrivée du dessinateur Xavier Lacombe, les élèves se sont vus proposer la lectures de contes d’Amérique latine, pour s’imprégner de la culture, puis des livres et documentaires consacrés à l’écologie et au réchauffement climatique.
« Tous les professeurs de la classe ont consacré au moins une heure ou deux au projet lors de leur cours respectif. L’objectif est toujours d’intégrer le projet au programme, de le relier à plusieurs cours pour décloisonner les disciplines. Cela permet d’aller plus dans le fond d’un sujet et de donner aux élèves des grilles d’analyse pour être des citoyens », poursuit Margaux Padey.
Avant de faire des recherche, je savais que la fonte des glaces faisait monter le niveau de l’eau, et que les voitures polluaient, intervient timidement Kamil, assis au fond de la classe.
Autour de lui, les autres élèves confirment. Tous semblaient avoir entendu parler des glaciers.
« On a vu ça aux infos et à l’école aussi, en primaire », complète Coralie.
« Ensuite on a appris par exemple que des animaux ne pouvaient pas survivre avec le réchauffement. Et d’autres, qui d’habitude sont des oiseaux migrateurs et qui bougent avec les saisons, ne se déplacent plus avec le réchauffement. Ils n’ont plus besoin d’aller dans le sud vu qu’il fait chaud partout », poursuit, à son tour, Ajar.
« Et aussi la déforestation », ajoute Rassel, qui a justement choisi de réaliser un dessin sur le Nutella et l’huile de palme.
Initiation au style du dessin de presse dans un collège de Vénissieux
Le dessinateur Xavier Lacombe détaille l’esprit de son intervention :
« A cet âge-là, la plupart des élèves n’ont jamais ouvert un journal papier et ne connaissent pas le dessin de presse. Donc je commence toujours par présenter mon métier et l’historique de la caricature. Je raconte qu’elle a souvent été un contre pouvoir : contre le pouvoir politique, royal, religieux ; je leur montre des exemples de la révolution française, de l’époque de la loi sur la liberté de la presse. Mais je m’adapte aussi au public. Dans cette classe, aucun élève n’avait jamais entendu parler de Charlie Hebdo. Suivant leur connaissances je m’adapte, je leur explique, je leur montre des dessins ».
Au total, le projet, financé par les cités éducatives de Vénissieux/Saint Fons, se déroulait sur cinq séance de deux heures. A la théorie succédait la pratique.
« On a appris que les caricatures, c’est des visages déformés, par exemple des gros nez ou des grandes oreilles », racontent les élèves.
Autre « astuce » retenue par les jeunes pousses pour un dessin réussi : « écrire d’abord le texte et ensuite dessiner la bulle, sinon le texte peut dépasser. »
« Le dessinateur a toujours son carnet de dessins avec lui. Et quand il entend à la télé ou à la radio une info, il fait un petit croquis et ensuite il le retravaille », explique consciencieusement Mohamed.
« C’est en effet comme ça que je travaille. Je leur ai expliqué que le dessinateur de presse se nourrit de l’actualité. C’est notre matière première ; sans ça, c’est la page blanche. Donc pendant les ateliers, je les ai fait travailler de la même façon mais en m’adaptant à leur âge. Les recherches sur le sujet permettaient de nourrir leur imaginaire pour les dessins », confirme Xavier Lacombe.
Il poursuit :
« Je me suis adapté à chaque élève. Chaque imaginaire a une capacité à mettre en forme une idée. Pour certains, on a même pu travailler un peu le second degré de la caricature, mais l’objectif n’était pas de leur faire faire quelque chose de compliqué. C’était de permettre à chacun d’aboutir à un dessin. En revanche c’est vrai que j’ai été exigeant : je leur ai dit qu’un dessinateur de presse ne fait jamais un dessin du premier coup. Il recommence, notamment quand ce n’est pas assez clair. Alors je les ai fait recommencer leurs propres dessins, et la plupart ont vraiment joué le jeu ! »
Comme Mohamed, fier d’avoir réalisé plusieurs dessins, dont un « à double sens » :
« Il représente un pingouin, avec une glace à la main qui fond. Il s’exclame « ma glace fond », et ça fait aussi référence à la banquise sur laquelle il se tient ».
Kamil, lui, a fait de l’humour noir « sans le savoir » :
« C’est le dessinateur qui m’a expliqué ce que c’était, moi j’avais dessiné Poutine avec des manifestants qui s’écrient « stop à la guerre, en plus ça pollue ! »
Au collège Jules Michelet de Vénissieux, le réchauffement climatique en dessins
Les luttes pour le pétrole, le gaspillage de l’eau dans les pays riches, la responsabilité des usines dans la pollution de l’air : tous les thèmes émanaient des élèves eux-mêmes.
Au-delà du style et de la technique propres au dessin de presse, l’intérêt du recours à la caricature a été très bien compris par l’ensemble de la classe.
« Le dessin, c’est une bonne façon de faire passer un message », acquiesce Coralie, sensible à la pollution provoquée par les pots d’échappement des voitures.
Ajar complète :
« Le but c’est d’informer les gens pour moins polluer. Avant, par exemple, ma mère me disait d’éteindre la lumière ou de fermer le robinet d’eau. Maintenant, c’est moi qui le fais toute seule. »
Valeria, elle, a dessiné un lac asséché à la fois par le soleil et par la pollution.
« Tout le monde dit « désolé », mais personne n’agit », commente la jeune fille.
Il faut dire qu’au cours des séances comme de la restitution, les enseignantes essaient de transmettre un message : chaque petit geste compte, c’est important d’agir aussi à son échelle.
D’ailleurs Coralie a intégré le message :
« On ne peut pas dire que les habitants sont victimes du réchauffement, puisqu’ils participent »
Ça dépend lesquels, répond la professeure documentaliste. Dans certaines zones du monde, des populations vont particulièrement subir le réchauffement climatique. Rappelez-vous, on parle de migration climatique.
Depuis la rentrée dernière, ces sujets ont en effet été intégrés dans les programmes scolaires. Des thèmes comme « l’homme est-il maitre de sa planète ? » sont soumis aux élèves dès le collège, et les termes d’exil et de réfugiés climatiques ont fait leur apparition dans les manuels.
« Ça nous semble logique, étant donnée l’urgence actuelle », estiment Ghislaine Esmilaire et Jeanne Lombardelli, deux enseignantes assises sur le bord du bureau.
L’éducation aux médias et l’ouverture culturelle à travers le dessin de presse
Pour les enseignantes de ce collège de Vénissieux co-responsables du projet, les objectifs ont été atteints. Au-delà même de leurs propres attentes.
« L’idée du projet était de les amener à prendre position, adopter un regard critique, se faire leurs propres idées. C’était aussi une façon de leur montrer où aller chercher de l’info », abonde Margaux Padey, prof d’histoire-géo.
En fil rouge des séances préparatoires, les enseignantes distillent ainsi des discussions sur la fiabilité des sources et la nécessité de vérifier une information.
« A cet âge, beaucoup ont tendance à répondre « j’ai trouvé sur Internet, ou sur Google », comme si c’était une source. Et puis ils ne sont pas encore capables de connaître les médias qui « font référence ».
En tant que documentaliste au CDI, Ghislaine Esmilaire aborde ces questions et parle d’éducation aux médias à hauteur d’une heure par semaine ou par quinzaine. Un temps nécessaire, mais forcément trop court.
« Et qui nécessite de notre part aussi une adaptation à leur rapport à l’information et aux réseaux sociaux », assure-t-elle.
Avec un tel projet, porté sur plusieurs séances avec un but de production et une posture qui place les élèves dans l’action, les réflexes semblent plus vite acquis.
« On remarque qu’au fil des semaines, certaines choses se sont ancrées ; une façon de se poser des questions qui diffère des autres classes de 6ème. Et quand ils ne comprennent pas un dessin, au lieu de le rejeter, ils vont chercher à l’interpréter. Le fait d’avoir travaillé avec un vrai journaliste a rendu les chose concrètes, leur curiosité intellectuelle s’est développée », analyse Margaux Padey.
D’autant qu’un dessin est plus accessible qu’un article de presse, et rend donc l’accès à l’information plus directe, avec un public varié.
La réussite du projet a dépassé les attentes des enseignantes, car les retombées dépassent le cadre des séances menées avec Xavier Lacombe. Jeanne Lombardelli souligne à ce propos l’attitude de certains élèves en particulier, renforcés positivement par le projet.
« Le fait de mener un projet en dehors du pur cadre scolaire valorise les élèves qui ne sont pas toujours les meilleurs en classe, qui n’ont pas toujours la meilleure attitude même vis-à-vis de nous, enseignantes. Ils peuvent se retrouver cette fois en situation de réussite, grâce à leurs dessins ou leur rapport à l’intervenant extérieur. C’est une toute autre pédagogie qui permet d’obtenir des résultats que nous n’obtenons jamais à travers la pédagogie scolaire classique, même avec les professeurs les plus bienveillants. Et cet impact se ressent directement sur les autres matières et sur le comportement en classe », confirme la professeure de lettres.
Dernier signe de réussite : la présence de nombreux parents lors du vernissage de l’exposition à la médiathèque de Vénissieux.
« Plusieurs élèves ont même pris leur carte d’adhérent. Car, au fond, je suis persuadée que l’école a un vrai rôle à jouer dans l’ouverture et l’accès à la culture, en particulier dans un quartier populaire comme les Minguettes et dans un collège classé en REP+ », rappelle Margaux Padey, persuadée qu’un projet comme celui mené avec Ça presse mériterait, à minima, d’être étendu à l’ensemble des classes de 6ème.
Pour boucler le cycle, les enseignantes ont en tête une dernière étape : faire venir « le groupe des vieux » pour parler de transmission avec les jeunes adultes. L’idée : faire raconter à des personnes plus âgées tout ce qui peut changer à l’échelle d’une vie humaine, sur le plan du réchauffement climatique.
« C’est parti d’une discussion avec grand mère, qui me contait que, petite, elle faisait du patin à glace sur la Saône l’hiver », sourit Margaux Padey.
Aujourd’hui, le fleuve ne gèle plus et c’est à peine si les jeunes générations savent où se trouvent les patinoires lyonnaises.
Le projet qui s’achève au sein du collège porte en lui un espoir. Celui d’une jeunesse consciente et critique. Dans quelques mois, ces élèves-là pourront à nouveau présenter leurs œuvres, cette fois au sein de l’établissement scolaire qui remontera l’exposition à la fin de l’année.