A Crolles en Isère, 13 élèves d’un dispositif ULIS (Unités localisées pour l’inclusion scolaire), encadrés par leurs professeurs du collège Simone de Beauvoir, ont mené un projet d’émission de radio en partenariat avec la radio locale Radio Grésivaudan. L’occasion de découvrir un univers médiatique méconnu, et de renforcer l’inclusion de ces élèves au sein du collège.
Dispositif ULIS
Les dispositifs ULIS permettent la scolarisation d’élèves en situation de handicap (reconnu par la Maison départementale des personnes handicapées) au sein d’établissements scolaires. Les élèves scolarisés au titre des ULIS présentent des troubles des fonctions cognitives ou mentales, du langage et des apprentissages, du développement (comme l’autisme), des fonctions motrices, auditive, ou visuelle. A Crolles, le dispositif rassemble 13 des 576 élèves du collège, de la 6è à la 3è. Certains sont intégrés – “en inclusion” – dans un ou plusieurs cours (arts plastiques, mathématiques, musique…) “classiques”, avec les autres élèves du collège. Le reste du temps, ils se retrouvent ensemble, entre élèves du dispositif, autour de projets collectifs.
Il est 9h ce mardi 18 février lorsque le petit groupe se met en ordre de marche direction le studio. A peine 10 minutes à pied séparent le collège de Crolles de Radio Grésivaudan, la radio locale iséroise associative.
L’ambiance est détendue, mais le stress monte peu à peu. Dans quelques minutes, les élèves se transformeront en journalistes-animateurs. Ce matin, ils enregistrent une émission intitulée “Ma vie de collégien” diffusée sur les ondes. Ce sera l’aboutissement de près de cinq mois d’ateliers hebdomadaires réalisés en partenariat entre le collège et la radio. Le projet a été encadré par Valérie Piris, enseignante référente du dispositif Ulis et Blandine Meiller, professeure documentaliste.
Conditions du direct
Après une répétition générale la veille dans les studios, les collégiens enregistrent aujourd’hui l’émission dans les conditions du direct. L’entrée dans le studio est bruyante. Les élèves plaisantent. “Bonjour et bienvenue sur BFM. Ce matin, notre invité : Edouard Philippe pour parler des gilets jaunes”. Ils s’installent, sous les ordres bienveillants du chef d’orchestre : François Poret, salarié de Radio Grésivaudan, coordinateur du projet. Il organise des ateliers radio depuis dix ans, avec un public varié.
“Vous vous souvenez : on n’est pas en direct, mais on fait comme si !”
Derniers rappels prodigués par François avant de démarrer. Puis c’est le décompte. 3, 2, 1… La lumière rouge s’allume et le silence se fait. Quelques secondes à peine avant d’entendre résonner le jingle – réalisé par les élèves – dans le studio.
Un micro s’ouvre, c’est celui de Lian. Pendant toute l’émission, il jouera l’animateur aux côtés de Mia.
- Bonjour les CM2 ! Bonjour aux parents des CM2, à tous les parent, aux professeurs des écoles et du collège. Bonjour à toutes et à tous. Nous sommes sur radio Grésivaudan 87.8 89 FM. Bonjour Mia !
- Bonjour Lian ! Nous sommes des élèves du dispositif ULIS du collège Simone De Beauvoir à Crolles
- Nous sommes 14 élèves de différentes classes de la 6ème à la 3ème.
- Et aujourd’hui, nous allons vous présenter la vie au collège. Depuis le début de l’année scolaire, nous avons participé à un projet pour comprendre comment se fabrique une émission de radio.
- vous allez tout connaître du collège, même ses coulisses ! C’est parti !
A leurs côtés, 4 autres élèves assis autour de la table ronde installée au cœur du studio, et autour d’eux, une classe de CM2 venue assister à l’émission. La trame : faire découvrir le collège, casser les idées reçues, répondre aux doutes et aux craintes du passage en 6ème en apportant des explications sur le fonctionnement du collège. Mia, co-animatrice, lance le premier son : il s’agit de l’interview de la principale du collège.
Chacun leur tour pendant 1h15, les élèves prennent la parole au micro. Interviews, micro-trottoirs, reportages, lectures, créations sonores : ils présentent et lancent les sujets réalisés en amont de l’émission dans l’enceinte du collège. Au menu : un micro-trottoir sur craintes et questions avant d’arriver au collège ; un décryptage sur le rôle d’un prof principal ; une création sonore sur “le cancre”, de Prévert ; l’interview du cuisinier de la cantine, celle de l’agent d’entretien, ainsi que des CPE et surveillants rencontrés à la vie scolaire…; ou encore un reportage sur le bruit au collège.
“Je leur ai demandé d’aller chercher des bruits, des ambiances très bruyantes, mais aussi des moments de silence qui sont très rares dans un collège !”, explique leur enseignante, Valérie Piris.
Le choix des thèmes a été travaillé en groupe, chacun proposant des idées de lieux ou de personnes à interviewer. Les montages ont ensuite été réalisés par François, “le magicien”, selon les mots des élèves. Quant aux textes lus à l’antenne, ils ont été rédigés collectivement lors des ateliers.
“On fonctionnait par petits groupes, certains étaient plus à l’aise pour préparer les questions, d’autres pour tendre le micro. On s’est basés sur leurs envies et les capacités d’expression de chacun”
précisent les deux enseignantes encadrantes.
Les collégiens se succèdent autour de la table, suivant le conducteur à la lettre. Emilie, l’une des plus jeunes du groupe, est passée du côté technique. Un casque sur les oreilles, elle épaule la bénévole derrière la vitre du studio.
Découvrir la radio et renforcer l’inclusion
Au rendu final, il est difficile de percevoir que le projet a représenté un réel défi pour ces élèves et leurs professeurs. Si ce projet était une façon de faire découvrir le monde des médias, il s’agissait aussi et surtout de créer du lien, de renforcer l’inclusion des élèves du dispositif ULIS au sein du collège.
“Ils prouvent qu’ils sont capables, au même titre que les autres, de mener un tel projet ambitieux, et de le faire bien !”
se réjouit Valérie Piris.
“Ils se sont entendus parler et lire, et pour certains, notamment ceux qui ont des troubles autistiques, c’était très compliqué au départ. Quand ils sont dans les classes en inclusion avec les autres, ce sont des élèves qu’on n’entend pas. C’est ce que me font remonter mes collègues. Or là, on leur donne la parole, on entend leur voix. Eux mêmes s’entendent et s’écoutent. C’était vraiment le projet parfait pour travailler l’expression orale, le fait d’aller vers les autres, oser. Mais aussi gérer et faire attention au matériel technique”.
“Finalement dans un tel projet, la radio est un prétexte pour mener à bien une mission locale et sociale”
confirme François Poret.
La dernière partie de l’émission est finalement consacrée aux questions de la salle. Celles-ci ont été préparées en amont par les élèves de CM2 venus assister à l’enregistrement. Au micro, Mia distribue la parole à qui veut répondre.
“Est-ce que l’emploi du temps change d’une semaine à l’autre ? Est-ce qu’on a beaucoup de devoirs ? Les profs sont-ils gentils ? Peut-on demander à être en classe avec un copain ou une copine ? Combien de temps dure la récré ?”
Les collégiens sont ravis d’éclairer les plus jeunes, les réponses fusent, sans notes, sans filet. C’est la fin de l’émission et tout le monde a pris ses marques.
“Ce que j’ai préféré, c’est parler au micro et entendre ma voix”
A la sortie, c’est l’heure du débrief. Tous n’ont pas trouvé leur vocation, mais l’expérience semble réussie.
Titouan : “J’étais stressé, j’ai cru que mon cœur allait lâcher!”
Donovan : “J’ai apprécié le fait de guider les cm2, les rassurer”
Mia : “Ce que j’ai préféré, c’est parler au micro, et entendre ma voix”
Solène : “Moi j’ai surtout aimé répondre aux questions à la fin”
Tom, lui, est emballé :
“ça m’a fait découvrir le métier de journaliste et même donné envie de le devenir. J’ai compris ce que font les gens qui interviewent les hommes politiques par exemple !”
L’éducation aux média est une catégorie vaste. Un tel projet peut a priori sembler en décalage avec des ateliers plus classiques axés sur la désinformation. Pourtant, les élèves ont pu observer, en y participant, comment se construit concrètement une émission et l’information, plus largement.
L’animateur radio sourit :
“Par exemple lors du reportage réalisé dans la loge des CPE, il y a eu un travail de montage : on y est allés deux fois ; la première, on a rencontré et interviewé une personne ; la seconde fois, une autre. Dans le rendu, on croit que les deux sont présents en même temps. J’ai expliqué aux élèves que d’une certaine façon, j’ai triché !”
Valérie Piris complète :
“Je pense en effet qu’ils n’écouteront plus une émission de radio de la même façon. Ils savent comment on met une musique. Ils ont découvert la notion de direct…”
L’enseigne envisage de renforcer l’aspect technique, en passant peut-être un peu plus de temps au montage des reportages et des interviews.
“Histoire de ne pas juste parler dans un micro avec un casque, mais de voir les coulisses !”
Un tel projet vient par ailleurs compléter les enseignements d’EMI désormais inscrits au programme scolaire des collégiens, sous forme de modules interdisciplinaires intitulés : “informer, s’informer, déformer”.
“L’éducation aux médias fait partie des missions des professeurs documentalistes, mais c’est un challenge, car nous n’avons pas de classe attribuée. On travaille donc avec les collègues les plus motivés pour porter et co-réaliser des projets”.
Blandine Meiller
Désormais, cette émission doit devenir une ressource documentaire, servant à présenter le fonctionnement du collège. En écoute libre sur le site de Radio Grésivaudan, elle a également été diffusée sur plusieurs créneaux [lundi 16 mars à 10h30 ; samedi 21 mars à 14h00 ; jeudi 26 mars à 14h30] afin de permettre aux parents de l’écouter, mais aussi aux autres enseignants du collège de prévoir des séances d’écoutes avec leurs élèves.