En année électorale, un cycle sur la citoyenneté organisé à la prison de Lyon-Corbas
L’association Tout Va Bien intervient à la prison de Lyon-Corbas et à Villefranche-sur-Saône pour proposer des cycles de débats et de discussions. Mi-mai, un cycle sur la citoyenneté était organisé avant les élections législatives. Reportage.
Dans la salle au rez-de-chaussée du pôle socio-culturel de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, une douzaine de personnes sont assises en demi-cercle face à un rétroprojecteur. Parmi elles, dix détenus.
Ils participent ce lundi matin à la troisième et dernière session du cycle consacré à la citoyenneté organisé par l’association Tout Va Bien.
Ce cycle n’a évidemment pas été choisi au hasard. Proposé par le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP), il coïncide avec le contexte électoral. Si les deux premiers ateliers se sont déroulés avant l’élection présidentielle, la troisième session prenait part un mois avant le premier tour des législatives.
Le vote des détenu·es à prison de Lyon-Corbas
En 2022 pour les élections présidentielle et législative, la Direction de l’Administration pénitentiaire a lancé une campagne de recrutement de salariés en service civique chargés de la « mise en œuvre effective du droit de vote pour les personnes détenues”.
A la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, Clément Maitre, étudiant en Master de droit à Lyon 2 a été recruté de novembre à juillet pour sensibiliser les détenus et organiser le bureau de vote au sein de la prison. « Les personnes détenues ont trois options : obtenir une permission de sortir, faire une procuration ou voter en détention », explique-t-il.
Lors de l’élection présidentielle, 200 détenu·es ont formulé le souhait de voter ; 120 ont effectivement voté au premier tour et une centaine au second.
Pour rappel, au 1er avril 2022, la maison d’arrêt de Lyon-Corbas comptait 997 personnes écrouées (pour 688 places).
Pour l’occasion, l’adjointe à la Ville de Lyon Sonia Zdorovtzoff a été invitée à parler de son rôle, du fonctionnement interne des services et de vie politique locale.
“Nos cycles sont toujours composés de trois interventions. Les deux premières permettent de cadrer la thématique, de creuser un sujet, puis lors de la dernière séance nous faisons intervenir un·e expert·e ou un·e acteur·rice de la vie locale”, détaille Laurianne Ploix, déléguée générale de l’association Tout Va Bien et fondatrice du journal éponyme.
En amont, lors des deux premiers ateliers, la journaliste a travaillé avec la Ligue de l’enseignement.
« On s’est d’abord appuyés sur le jeu « Cité Cap » dans lequel il faut construire une ville tous ensemble, et réfléchir à qui gère quoi dans une cité, mais aussi comment l’améliorer. Il y a eu de nombreuses propositions pour ajouter des arbres dans la ville mais aussi des tensions et des débats autour de la gentrification et de la mixité sociale. Puis les détenus devaient endosser le rôle d’un candidat pour convaincre « , poursuit Laurianne Ploix.
Protocole et prises de positions politiques
Laurianne Ploix, déléguée générale de l’association Tout Va Bien prend la parole pour ouvrir la troisième séance pour rappeler aux participants :
“On est ici pour échanger, débattre, et écouter tout ce que vous voulez dire”.
Avant de laisser la parole à l’adjointe, Laurianne Ploix revient, powerpoint à l’appui, sur une présentation rapide des différents corps d’élus en France, la fonction et le mode de scrutin de chaque institution, les grandes définitions sur les élections et la démocratie représentative. Régulièrement, des détenus interviennent, apportent des réponses ou des commentaires sur les prérogatives et compétences de la Région ou de la Ville en matière de transport ou encore d’éducation.
“Il y a des choses qu’on a “révisées” lors des deux premières séances, mais certains détenus s’y connaissent aussi beaucoup mieux que moi !”, sourit Laurianne Ploix.
A son tour, Sonia Zdorovtzoff se présente et commence par raconter le déroulement des dernières élections municipales lors desquelles les écologistes ont accédé au pouvoir à Lyon, et le contexte particulier en période de crise sanitaire.
“Nous sommes 21 adjoints, chacun avec une thématique. Le confinement entre le premier et le second tour nous a permis de réfléchir à ce que nous voulions faire et la façon dont nous voulions mener notre délégation. Pendant ce temps, on a même dû rédiger une note d’intention adressée à Grégory Doucet sur notre thématique”, détaille l’adjointe à la Coopération et la Solidarité internationales.
S’en suivent alors des échanges aussi bien sur les prérogatives du maire de Lyon et des adjoints, leurs marges de manœuvre et le découpage du pouvoir entre l’Etat et les collectivités, mais aussi des discussions sur le fonctionnement interne très concret des services. Sonia Zdorovtzoff capte ainsi l’attention en expliquant le protocole qui entoure l’accueil de corps consulaires ou diplomatiques à l’Hôtel de Ville, le pavoisement et la disposition des drapeaux, la fonction à part du “service du protocole”. L’adjointe insiste par ailleurs sur l’intention qu’elle met dans son mandat et sa volonté de prendre position à l’international.
“C’est un choix assumé de ma part, d’avoir un positionnement politique, de prendre parti pour des causes comme la défense des Kurdes, des Arméniens, des Palestiniens ou plus récemment des Ukrainiens. La majorité précédente ne le faisait pas forcément”, assure-t-elle en faisant défiler des photos des personnalités reçues, du défenseur des droits de la République d’Arménie au commissaire européen sur la transition écologique.
Interrogée par les détenus sur les limites de cette liberté de parole, Sonia Zdorovtzoff précise :
“On fait ce qu’on veut tant qu’on ne va pas à l’encontre de la politique française. Mais on peut aussi s’opposer au gouvernement sur certaines prises de position, comme les armes nucléaires. On a cette liberté de parole”.
Responsabilité et marge de manœuvre des élus
“Normalement, dans une démocratie, ce sont surtout les citoyens qui se trouvent “au-dessus” du maire…mais bon !” ironise l’un des participants, sur un ton qui relève davantage de la lucidité amusée que de la défiance.
C’est d’ailleurs le même qui, lorsque son voisin demande “comment faire pour “forcer” une loi à l’unanimité ?” répond : “quand ils ne sont que 4 députés dans l’hémicycle à voter une loi à 4h du matin !”
Sonia Zdorovtzoff, elle, opte pour une réponse plus politiquement correcte :
“En général, les lois votées à l’unanimité sont celles qui font consensus, comme le fait de s’opposer à la guerre en Ukraine. Sinon, il y a des négociations entre groupes”.
La discussion tourne désormais autour des possibilités d’action et de la responsabilité des élus.
“- L’adjointe peut-elle dépasser son budget ou les comptes sont-ils bloqués ?”
– Non, on ne peut pas dépasser, j’ai même un rendez-vous tous les quinze jours pour éviter les dépassements”, sourit l’adjointe.
Et oui, elle confirme : le sien, qui atteint 700 000 euros par an, est l’un des “plus petits budgets”, puisqu’il comprend les salaires et les déplacements de l’ensemble de la délégation. Quant à sa validation, “ça passe par le maire, Grégory Doucet”.
“Le maire de Lyon peut-il agir directement quand des Afghans dorment dehors ?”
Cette fois, la réponse est plus compliquée :
“Temporairement, on peut les aider. On peut aussi financer une partie des associations qui leur viennent en aide. Mais on ne peut pas décider d’ouvrir des centres d’hébergement ou de réquisitionner des logements, ça c’est le rôle de l’Etat. Et j’estime que mon budget ne doit pas servir à financer ce que l’Etat ne fait pas”.
“C’est un imbroglio », lâche un détenu, résumant la pensée de tous.
Sujet suivant : le rayonnement de Lyon à l’international.
“- Est-ce que la Fête des Lumières vous rapporte de l’argent ou c’est uniquement maintenu pour la tradition et l’image ?
– On est à l’équilibre, mais pour le reste il s’agit surtout de bénéfices pour les hôtels et les restaurants.
– Mais du coup, vous bénéficiez bien indirectement des retombées, via les taxes ?”
Oui et non, estime l’adjointe à la Ville de Lyon :
“Les taxes sont pour l’Etat, quant au développement économique, ce n’est pas de notre ressort mais celui de la Métropole. Par exemple nous n’avons pas de prise sur l’installation des entreprises localement.”
Enfin, alors que l’atelier touche à sa fin, un détenu demande si la Ville de Lyon se penche sur la condition des prisonniers.
“On va chercher à aider des gens qui vivent loin mais on a aussi des gens dans des conditions inhumaines ici.”
Sa remarque fait réagir son voisin :
“Tu peux pas comparer, il y en a qui crèvent sous les bombes, alors que moi j’ai Canal+ dans ma cellule.”
Sonia Zdorovtzoff n’aura pas l’occasion de revenir sur ce point et les détenus de poursuivre leur débat. Déjà, la directrice de détention rappelle l’heure et invite les participants à regagner leurs cellules pour la distribution des repas.
“Faire des électeurs, pas des élections”
« Le témoignage à cette force de lutter concrètement contre les fantasmes. C’est tout l’intérêt, sur un thème comme celui-ci, de faire venir une élue », conclut Laurianne Ploix à la fin de l’atelier, qui sait toutefois qu’elle recueillera de nombreuses questions et réactions lors de la séance suivante.
La journaliste aime d’ailleurs citer Jean Macé, fondateur de la Ligue de l’Enseignement : « la Ligue ne s’occupe que de l’éducation au suffrage universel, non pour faire des élections mais des électeurs, non pour faire des candidats mais des citoyens ».
« C’est vraiment notre but, d’aider à les réinscrire dans la cité en suscitant du débat, et en leur rappelant qu’ils valent quelque chose ! Tous nos supports servent à faire réfléchir pour s’apaiser et mieux appréhender le monde »
De l’éducation aux médias « classique » aux thématiques choisies par les détenus
L’association Tout Va Bien intervient au sein des maisons d’arrêt de Corbas et de Villefranche depuis cinq ans. De quatre sessions par an, elle est passée à douze en 2022.
“Au début on intervenait sur de l’éducation aux médias “classique” : lutte contre les fake news, complotisme, liberté de la presse. L’administration pénitentiaire estimait qu’il y avait un besoin de revenir sur ces définitions. Et puis petit à petit, on a modifié le format de nos séances, pour se concentrer sur des thématiques”.
Aujourd’hui, l’association décline ses interventions sous forme de cycles de trois séances, sur un thème choisi par les détenus eux-mêmes ou par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Les derniers cycles ont par exemple porté sur l’astronomie, avec la présence d’un salarié du Planétarium de Vaulx-en-Velin, ou encore sur l’olympisme au moment des Jeux Olympiques et l’intervention d’un athlète paralympique, et le suivant sera consacré à l’éloquence et couronné d’un petit concours interne.
“Nous avons en effet réalisé que sur de nombreux sujets, notamment scientifiques, il manquait à beaucoup d’entre eux des connaissances “scolaires”, comme la gravité ou le système solaire. Donc la première raison de nos interventions était liée à cet apport pédagogique et sociétal. Mais au fond, je pense que notre apport est principalement social : en rencontrant et en échangeant avec des personnes qui sont enfermées presque 22/24h, on empêche le lien avec l’extérieur de disparaître complètement. On fait de l’éducation populaire.”
Pour Laurianne Ploix, la clé de ces interventions en détention repose sur une posture qui se doit d’être horizontale.
“Certes, on essaie d’amener un savoir, mais il ne faut jamais estimer qu’on va leur apprendre la vie. Au contraire, l’objectif est de susciter des discussions et de recueillir leur avis”.
L’association Tout Va Bien mène par ailleurs des ateliers interactifs d’EMI. Elle a développé en 2020 son jeu de société Décrypt’info, qui permet d’aborder les médias, la liberté de la presse, les données personnelles et réseaux sociaux, les infos et le conspirationnisme.
En prison, maintenir le lien avec l’extérieur
L’éducation aux médias (EMI) en détention revêt tout particulièrement ce caractère d’utilité sociale qui dépasse le seul apprentissage « scolaire ». Peut-être plus encore qu’ailleurs, auprès de ce public adulte dont les trajectoires sont chaotiques, la question de la citoyenneté et de la compréhension de la société passe par ces ateliers de débats et par la création d’espaces de libre parole. L’EMI ne se borne pas à de « simples » ateliers sur les fake news. Il s’agit de rendre actifs les détenus, en dépassant justement leur statut de détenu.
« Pour nous, le sentiment d’utilité n’est jamais aussi grand. Il existe dans ces ateliers un retour direct très franc. Lors de nos autres interventions, on organise des ciné-débats, on diffuse notre journal, mais on ne sait jamais l’impact que l’on a. Ici, on sent une forme d’urgence à parler, à s’exprimer, comme pour ne pas perdre le lien avec l’extérieur. On mesure cette nécessité. Mais on ne fait que semer des graines, en espérant que ça les aidera dans leur vie ».
Laurianne Ploix
Le 18 juin, l’association Tout Va Bien organise une table ronde sur la liberté de la presse, dans les salons de l’Hôtel de Ville.
Pour Sonia Zdorovtzoff, passée par l’Observatoire International de Justice juvénile, cette intervention dépasse en effet la seule envie de convaincre de l’utilité de prendre part aux prochaines élections législatives qui se dérouleront les 12 et 19 juin.
« Je suis persuadée que ce n’est pas une solution d’enfermer les gens sans leur donner accès à leurs droits, notamment à la culture et à l’éducation. Et puis c’est une façon de raconter une réalité méconnue, de changer l’image que l’on peut avoir des détenus. En prison, il y a de nombreuses personnes comme nous. Parmi les personnes présentes ce matin, il y avait même un professeur d’université », souffle-t-elle