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Dans les quartiers Nord de Marseille, des ateliers pour inventer des fake news
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Dans les quartiers Nord de Marseille, des ateliers pour inventer des fake news

Pour savoir repérer les fake news sur les réseaux sociaux, mieux vaut en connaître les codes. C’est le constat dressé par Ancrages, une association implantée dans les quartiers Nord de Marseille qui propose aux collégiens des ateliers ludiques et créatifs.

Imaginez qu’une mystérieuse épidémie survenue chez les pigeons gagne peu à peu l’espèce humaine et se développe dans des proportions totalement inédites… Pour y faire face, les médecins communiquent à la population les gestes-barrières à adopter. Mais au-delà de la prévention, que sait-on de ce virus ? Et pourquoi est-il si virulent au contact de l’eau ? Mais surtout, peut-on se soigner, et peut-on guérir ?

Voici, en quelques mots, la fake news qui a été imaginée par de jeunes collégiens marseillais lors de l’atelier « Balance ta fake news » animée par l’association Ancrages lors des vacances de la Toussaint de 2021. Tous avaient entre 11 et 15 ans. Sans être forcément camarades de classe, ils se sont retrouvés ensemble lors de ce stage ludique financé dans le cadre des appels à projets soutenus par la CAF et la DILCRAH (Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT).

Margaux Mazellier, journaliste et chargée d’éducation aux médias au sein de l’association, a encadré cet atelier. Elle a expliqué aux sept jeunes du centre social Baussenque que la crédibilité est l’ingrédient le plus important d’une fake news réussie. Par « réussie », il faut comprendre « virale ». Au sens imagé, bien sûr. 

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Les jeunes stagiaires du centre social Baussenque réalisent un montage sur Canva © CM/Rue89Lyon

C’est tout le concept de cet atelier imaginé par l’association marseillaise.

Celui-ci s’étale sur quatre matinées. Les deux premiers jours, les jeunes découvrent les bases du métier de journaliste, comme la règle des 5W ou l’importance de vérifier ses sources. Margaux Mazellier leur montre aussi quelques outils permettant de vérifier la fiabilité des sites en ligne comme Décodex, qui permet de remonter aux sources des posts Facebook et TinEye, qui permet de faire des recherches inversées en partant directement d’images à l’origine douteuse.

« Nous avons aussi travaillé les définitions : qu’est-ce qu’un canular ? Qu’est-ce qu’un complot ? On parle de complotisme tout le temps, mais eux, ils n’avaient aucune idée de ce que ça voulait dire ! » note Margaux Mazellier.

A la journaliste, les apprentis exposent leurs principales sources d’information : TikTok, mais aussi Google et Youtube.

Les deux jours suivants, les jeunes sont invités à confectionner eux-mêmes leur fausse nouvelle. Article web, interview, montage photo : tous les supports peuvent être sollicités, du moment qu’ils permettent de renforcer la crédibilité du propos.

À la fin de l’atelier, la fausse information n’est pas partagée sur les réseaux sociaux. En revanche, on peut pousser la feinte au sommet en générant un faux post, à l’image de ceux réalisé lors d’une précédente session en 2020.

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Un faux post Facebook réalisé lors d’un précédent atelier de « Balance ta fake news » (capture d’écran du site d’Ancrages)
Un faux post Facebook réalisé lors d’un précédent atelier de « Balance ta fake news » (capture d’écran du site d’Ancrages)

Ateliers d’invention de fake news à Marseille : « En s’appropriant les outils, les jeunes apprennent à repérer les ficelles »

Lorsque Margaux Mazellier a rejoint l’association Ancrages, ce projet existait déjà. Il coexiste aux côtés des nombreuses autres actions menées par cette association, dont le cœur de métier est la valorisation de l’histoire des immigrations à Marseille. Ce qui peut prendre la forme de travaux d’archives, de balades patrimoniales ou de médiation culturelle auprès de différents publics. Et ce, dans les quartiers Nord où la structure est implantée, ou bien au centre socioculturel Coco Velten dans le quartier populaire de la porte d’Aix (3ème arrondissement).

« Au départ, j’étais perplexe devant le concept de « Balance ta fake news », explique Margaux Mazellier. Mais après avoir mené plusieurs ateliers, je trouve que l’idée géniale. Parce qu’elle est ludique pour les jeunes, mais surtout parce que fabriquer une fausse nouvelle est le meilleure moyen pour savoir les détecter par la suite. En s’appropriant les outils de ce qui fait une « bonne fake news », ils apprennent à repérer les ficelles une fois en situation. »

Exemple en direct avec Line, une jeune collégienne de 13 ans, qui assure voir défiler « plein de fake news » sur le réseau social TikTok. La dernière ?

« Une grosse baleine qui renversait un bateau. J’ai vu que c’était faux, parce qu’en regardant bien la vidéo, j’ai aperçu un petit bout de fond vert qui était resté au montage… »

Line fait partie du groupe des quatre collégiens qui planchent sur le virus des pigeons. Ils lui ont même trouvé un nom : « la cropogie ». Les quatre apprentis ont choisi de raconter leur histoire à travers un article enrichi et nommé « La face cachée des pigeons ».

Grâce à la plateforme Canva, ils parviennent à créer une mise en page digne d’un vrai magazine. À côté de l’article principal, une colonne reprend les propos d’un médecin expert, sous la forme journalistique consacrée des « 3 questions à… ». 

Voix-off grave et inquiétante

Mieux encore, la page comprend un lien vers une vidéo de ladite interview. Bien sûr, l’entretien a été truqué. Il s’agit de la vidéo d’un médecin qui, tel Didier Raoult dans ses publications hebdomadaires, s’exprime face caméra en blouse blanche. Elle est véridique et compte 300 vues sur Youtube. Qu’importe son propos : en isolant l’image, les collégiens veulent enregistrer leur voix pour faire dire au médecin ce qu’ils veulent. Ce dernier a d’ailleurs été renommé Jérôme Bertrand, et il est présenté comme biologiste.

« Vous savez qu’on va voir que la voix est en décalage avec la bouche du médecin », prévient Margaux Mazellier. 

« La face cachée des pigeons », l’une des deux fake news imaginée durant l’atelier (capture d’écran du site d’Ancrages)

Fellous, 14 ans, le sait, et n’y voit pas d’inconvénient. Il part s’isoler dans une autre pièce le temps d’enregistrer les réponses convenues avec ses amis. À la question : comment cette maladie est-elle apparue ? La voix répond :

« Nous ne savons pas encore comment cette maladie, la cropologie, est apparue. Nous sommes actuellement entrain de faire des recherches. Nous savons seulement qu’elle est transmise par les pigeons et l’eau. »

L’encadrante lance un rappel au jeune homme :

« N’oublie pas, les fakes news utilisent souvent des voix graves et inquiétantes. Mais ne prends pas une voix trop grave, sinon ça ne sera pas crédible ! »

Fellous enregistre sa voix sur la vidéo du médecin « expert » ©CM/Rue89Lyon

Fellous passe ensuite au montage. Comme tous ces collègues, il a l’application CapCut et la maîtrise parfaitement. À l’ère de TikTok, cette dernière permet à des millions de jeunes de réaliser des montages audio et vidéo en un temps record.

Le résultat est bluffant. Fellous imite parfaitement le type de voix monotone que l’on retrouve dans les vidéos douteuses. Pour Sarah, l’une de ses camarades, il manque encore un petit quelque chose. Elle tape alors « musique horreur thème » sur Youtube, et extrait une mélodie pour l’ajouter à la vidéo.

Autre fake news marseillaise inventée : « tout à coup, le dompteur a perdu le contrôle du lion. »

De l’autre côté de la table qui meuble le local de Coco Velten, trois autres jeunes filles planchent sur une tout autre fake news : un lion s’est échappé du cirque de Marseille et sème la terreur dans la ville.

Sur leur brouillon, on peut lire deux autres idées abandonnées au fil de la réflexion :

« un variant du Covid-19 qui est plus grand », et « un clown tueur dans la campagne ».

Alors, pourquoi avoir choisi l’histoire du lion ?

« Parce que c’est crédible, les gens peuvent y croire », estime Israa, 13 ans.

« Crédible », c’est le mot-clef de l’atelier. En début de semaine, Margaux Mazellier l’a noté au tableau. Une manière d’apprendre au plus jeune public qu’une fake news renferme toujours, par essence, un fond de probabilité. C’est ce qui lui donne sa force de frappe. Les collégiens disposent de la feuille de route suivante pour concocter une fake news plus vraie que nature :

  • Mélanger le vrai et le faux, être crédible
  • Avoir un titre et un contenu accrocheur
  • Musique et voix inquiétante 
  • Jouer avec les émotions
  • Si vidéo : décor crédible
  • Insérer une parole d’expert ou de témoin

Le groupe du lion échappé a décidé de raconter son propos à travers un montage photo augmenté d’un récit journalistique en voix-off. Les instructions notées par Margaux sont reprises unes à unes. Il faut aussi commencer l’histoire en répondant aux « 5W », comme le ferait un vrai journaliste. Voici le début du texte :

« À Marseille, le mercredi 3 novembre, un spectacle a eu lieu dans le cirque à côté du MuCem quand tout à coup, le dompteur a perdu le contrôle du lion. Il sème la terreur partout, l’information s’est propagée sur tous les réseaux sociaux. »

Margaux Mazellier et Rosalie Estiot relisent le script des jeunes apprentis © CM/Rue89Lyon

En soutien de la voix-off, des images des rues de Marseille défilent à l’écran. Pas n’importe lesquelles, mais celles de la ville désertée lors du confinement du printemps 2020. Les photographies sont véridiques, mais détournées pour servir à la perfection la fausse histoire inventée par les trois jeunes filles. Au milieu du montage, l’une d’elles s’est enregistrée pour simuler l’interview d’une témoin. Elle raconte face au smartphone :

« Ma copine et moi, on voulait se retrouver dans un spectacle parce que ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vues ! Mais la sortie a tourné au cauchemar. Le lion s’échappa, et à tout moment, il pouvait venir nous manger… »

Rosalie Estiot, médiatrice au centre social de Baussenque, accompagne les jeunes durant tout l’atelier. Elle est impressionnée par leur sérieux et leur assiduité, surtout en période de vacances scolaires.

« Nous étions intéressés par ce projet depuis l’année dernière, où j’avais noté un réel intérêt de plusieurs jeunes pour l’actualité. Fellous par exemple, il passait des nuits blanches pour suivre la présidentielle américaine sur les réseaux sociaux ! »

La conclusion revient à une camarade de Fellous, Line :

« Margaux nous a appris plus en une semaine que tout ce que les profs nous disent au collège. Eux, ils nous disent juste de faire attention. Mais ils ne nous expliquent pas ! »

L'AUTEUR
Clara Martot

Boîte à outils

- Un atelier de 4 demi-journées en période de vacances scolaires

- Au sein d'une structure d'éducation populaire ou ailleurs

- 4 jeunes en âge d'être scolarisé au collège

- Financement : CAF et la DILCRAH

La production

2 fake news produites sous forme de journal, videos ou faux posts sur les réseaux sociaux

Contacts

Le site de l'association Ancrages

: « Balance ta fake news »

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