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Zone d’Expression Prioritaire (ZEP) : l’éducation aux médias pour que les jeunes se racontent
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Zone d’Expression Prioritaire (ZEP) : l’éducation aux médias pour que les jeunes se racontent

Créée en 2012 par deux journalistes, la Zone d’Expression Prioritaire (ZEP) veut faire de l’éducation aux médias différemment. Elle accompagne des jeunes de tous horizons pour leur donner une place dans l’espace médiatique, par l’écriture de leur propre témoignage. Pour deux ateliers, notre journaliste a collaboré avec la ZEP, et vous raconte cette expérience de l’intérieur.

À la Zone d’expression prioritaire (ZEP), pas question d’être des journalistes « missionnaires », venus délivrer une leçon. Pas question non plus de réhabiliter le journalisme aux yeux de jeunes qui s’informeraient mal. Ce média, qui est aussi une association, veut mettre des journalistes au service de jeunes, pour leur permettre d’écrire un témoignage.

Lycéens, étudiants, jeunes travailleurs, détenus et autres profils divers et variés se voient donner l’opportunité de se raconter eux-mêmes, par écrit ou dans des podcasts. Aiguillés par des journalistes, ils choisissent une expérience de vie, puis le mettent en texte ou en voix. Avec pour finalité que leur témoignage apporte un éclairage sur la société ou raconte une histoire unique et significative.

Par des jeux, des discussions en groupe, et des retours critiques sur leurs productions, le journaliste participe à l’émergence de ce témoignage qui pourra ensuite être publié sur le site de la ZEP, dans un livre, ou dans un média partenaire (Konbini, Libération, le Huff Post, Ouest France, Urbania…)

ZEP éducation aux médias
Page d’accueil du site internet de la ZEP, le 1er juin 2022.

Pédagogie et adaptabilité : le nécessaire pour encadrer un atelier de la ZEP

Dans mon passé – pas si lointain – de journaliste pigiste, j’ai animé pour la ZEP deux ateliers à Lyon et Villeurbanne, en mars et avril 2022. L’association-média, basée à Paris, s’appuie sur un réseau de journalistes indépendants pour assurer des ateliers partout en France.

Il s’agissait de ma première expérience d’éducation aux médias. Enfin, pas vraiment. Il y a quelques années, en école de journalisme, j’avais participé à une matinée d’échange avec les élèves d’un lycée. Le directeur de notre école (qui n’était pas journaliste) avait aussi improvisé un cours sur les médias, agrémenté d’un powerpoint, devant la classe des lycéens, autour des fake news et du travail des journalistes.

Pas grand chose à voir donc avec ce que propose la ZEP. J’encadrais deux publics très différents : une classe de lycéens – la sonnerie à 8h le vendredi matin ne m’avait d’ailleurs pas manquée – et un atelier du soir dans un foyer de jeunes travailleurs.

Avant les ateliers, Julie, la rédactrice en chef de la ZEP m’a briefée par téléphone, puis je suis aussi allée assister à un atelier à Paris. Plutôt confiante, je comptais bien suivre le chemin de fer prévu pour les cinq séances, avec des idées de jeux et les étapes à suivre pour l’écriture des témoignages. En réalité, le chemin de fer n’est qu’une béquille : faire écrire des témoignages à des jeunes qui n’en ont pas l’habitude demande beaucoup d’improvisation et d’adaptabilité.

À travers les trajectoires personnelles des jeunes, trouver des sujets de société

La première étape est de faire adhérer les jeunes à la démarche pour qu’ils acceptent de se prêter au jeu de l’écriture. Il faut expliquer que la ZEP veut donner la parole à ceux qui ne l’ont pas dans les médias et les convaincre qu’ils ont des expériences importantes à raconter. Surtout il faut expliquer que nous n’allons pas juger leur façon d’écrire, car pour certains l’écriture est une forme de complexe.

Ensuite, il me fallait animer une discussion de groupe. Autour de thèmes assez larges (logement, école, famille…), l’objectif est d’identifier les sujets qui concernent le groupe de jeunes en question. Pour certains, il s’est avéré difficile de parler de soi devant le groupe.

Il m’a fallu ensuite passer vers eux un par un pour permettre à chacun de trouver un récit à livrer. C’est là que la journaliste reprend le dessus. Par un travail d’interview je devais trouver pour chaque personne un sujet à creuser.

Du côté des lycéens, cela s’est révélé facile. Dans un cadre qui restait assez strict (leur cours de français), ils ont apprécié un moment plus décalé fait de jeux d’écriture et d’encadrement personnel avec un ou une journaliste. Le plus dur a été de les faire développer leurs témoignages.

À 15 ans, les adolescents n’ont pas l’habitude d’écrire des descriptions détaillées ou de parler de leurs émotions. Au final, avec un autre journaliste, nous avons pu réunir une dizaine de témoignages susceptibles d’être publiés sur le site de la ZEP ou chez les médias partenaires. Les sujets abordés tournaient majoritairement autour des jeux vidéos, des loisirs, de l’école ou du rapport avec leur famille.

La home page du site de la ZEP le 10 juin 2022.
La home page du site de la ZEP le 10 juin 2022.

L’éducation aux médias à la ZEP, un exercice parfois périlleux

Quant à l’atelier en foyer de jeunes travailleurs, c’était une autre paire de manche. L’atelier a du être arrêté au bout de trois séances car un seul jeune était partant pour écrire son témoignage. C’était une première pour la ZEP qui n’avait jamais rencontré ce cas de figure.

Peut-être était-ce mon inexpérience, le cadre peu propice (un atelier du soir non obligatoire, sans inscription), ou le fait que l’atelier tombait en plein ramadan, mais il a été difficile de faire revenir les jeunes de séance en séance.

Passée la rigolade des premiers jeux et les premières discussions animées, se livrer par écrit est devenue une marche difficile à franchir pour plusieurs d’entre eux et elles. D’autant plus que les foyers de jeunes travailleurs accueillent souvent des jeunes au parcours de vie cabossé. Malgré les conseils de la rédaction de la ZEP, j’ai eu du mal à trouver le juste équilibre entre les moments « scolaires » (c’est quoi écrire un article ?), les moments ludiques et la place laissée aux récits personnels.

Entretien avec Edouard Zambeaux, fondateur de la ZEP

Comment et pourquoi avez-vous fondé la ZEP ?

J’ai co-fondé la ZEP avec Emmanuel Vaillant. On travaillait tous les deux avec des médias traditionnels, lui à l’Etudiant, moi à France Inter. Chacun de notre côté on faisait des expérimentations d’atelier d’écriture. On s’est rencontrés par hasard et on s’est rendus compte qu’on faisait des choses similaires. Tous les deux, nous faisions le même constat journalistique : toute une partie de la population est dans l’angle mort de la représentation médiatique et il ne suffisait pas de tendre un micro pour rétablir une forme d’équité médiatique. Pour ça il faut aider les jeunes à élaboration de leur récit. Et si on veut rétablir vraiment une équité, il faut leur donner de la visibilité, d’où l’idée de créer un média et de faire appel à des médias.

Pourquoi ne pas faire de l’éducation aux médias plus traditionnelle ?

Il ne suffit pas d’être journaliste pour animer un atelier de la ZEP, il faut aussi un petit supplément d’âme pour accepter d’être au service de. Nos ateliers c’est une éducation au média empirique, par le faire. On est pas en accord avec la posture d’éducation aux médias qui en fait une discipline descendante académique, où des journalistes vont dans des classes pour dire à quel point ils sont respectables. Les jeunes passent leur journée en cours et ils n’ont pas besoin de journalistes qui viennent leur dire “on est des gens bien”. On est aussi là pour aider les jeunes à écrire des choses avec lesquelles on est pas d’accord. Dans l’éducation aux médias, y a beaucoup de journalistes qui se mettent dans une posture missionnaire.

Réussir à faire émerger des témoignages n’est pas évident, quelle est votre démarche ?

En général les jeunes que l’on accompagne n’ont pas du tout l’habitude d’écrire. Par exemple, je viens de finir un atelier avec une classe de CAP vente et les professeurs m’avaient dit “vous parviendrez pas à leur faire sortir un stylo”. Alors on a des outils récurrents comme des jeux d’écriture, assez ludiques au début pour casser la glace. De dire “regarde en faisant un jeu tu as écrit 5 lignes”. Ce que je trouve le plus intéressant c’est le travail sur la qualification des choses : les descriptions, les sensations. Tout l’enjeu de l’écriture c’est de se débarrasser des mots fourre-tout.

Puis on a surtout une vraie curiosité de journalistes pour le public en face de nous. On est curieux de les lire donc on a envie de les lire et de les faire écrire. On ne sera jamais des animateurs sociaux culturels, on est animés par un objectif journalistique.

Quels types de témoignages recevez-vous ?

On publie plus de 1000 textes par an, avec un peu de radio et quelques pastilles vidéos. On y retrouve la quotidienneté d’adolescents ou de jeunes adultes qui sont souvent habitants de quartiers prioritaires de la politique de la Ville. Depuis plus d’un an, il nous remonte de manière très brutale des phénomènes d’inquiétude scolaire : on voit cette violence vécue par les élèves. Depuis trois ans on a aussi beaucoup de papiers sur la question du genre. Grâce à notre méthodologie on voit apparaître des signaux faibles souvent avant les autres. On a la modeste ambition d’essayer de chroniquer une époque.

Les témoignages des jeunes peuvent ensuite être publiés dans vos médias partenaires. Comment fonctionne cette collaboration ?

On a des problématiques qui mûrissent, on regroupe des textes sur un même sujet, et quand ces problématiques sont prêtes on les propose à des médias. Ils ont tout d’un coup une double page incarnée, racontée par des acteurs à qui ils ont peu accès, et dont recueillir la parole nécessiterait beaucoup de temps. La seule chose qui ne fonctionne pas, c’est lorsqu’ils s’adressent parfois à nous comme à une agence de fournisseurs de contenus, en demandant “vous avez pas un jeune qui raconte ça ? »

Le dernier stade c’est qu’on est passé dans la catégorie éditeur. On a publié deux livres, un qui est toute tranche d’âge, et un qui est 18-30 ans, qui est inscrit dans le débat de la présidentielle. Symboliquement c’est encore plus valorisant pour les jeunes d’être publié dans un livre que sur un site.