Depuis deux ans, rue89lyon observe les projets d’éducation aux médias déployés en Auvergne-Rhône-Alpes et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Nous en tirons les premiers enseignements et tentons de faire ressortir les grands enjeux qui traversent l’éducation aux médias et à l’information (EMI) aujourd’hui.
Outils pédagogiques développés par des MJC, projets scolaires menés de façon pluridisciplinaire par des enseignants et professeurs documentalistes du premier et du second degré, journaux étudiants, résidences journalistiques en milieu rural et dans des établissements de REP… La diversité des actions traduit celle du champ de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) et une volonté d’acteurs de terrain de prendre à bras le corps cette question de l’EMI comme enjeu citoyen et démocratique.
Développer l’esprit critique
Le point commun des projets d’EMI observés se trouve dans la volonté de développer l’esprit critique dans un cadre collectif et participatif. Ne pas se contenter de recevoir l’information transmises par les les réseaux sociaux voire les médias, mais la questionner, se questionner sur sa crédibilité et sur le message qu’elle transmet. En classe ou en petit groupe, l’objectif est toujours d’amener les jeunes à réfléchir ensemble en créant des « bons réflexes » face à l’afflux d’informations.
La lutte contre les fake news apparaît aujourd’hui comme une priorité, notamment depuis 2015 et les attentats en France, et en particulier lors des projets menés dans le cadre scolaire ou périscolaire.
S’appuyer sur des outils participatifs d’éducation aux médias
Bien que des réseaux comme le CLEMI existe depuis les années 1980 pour promouvoir l’utilité de l’éducation aux médias, les outils à disposition des éducateurs – enseignants, professeurs documentalistes, salariés de MJC, journalistes… – étaient encore peu nombreux il y a dix ans. C’est ainsi que des enseignants, comme Marie-Rose Farinella, se sont formés en autodidactes, piochant dans des formations en ligne et développant finalement sa propre méthode applicable dès la classe primaire. Car si l’éducation aux média fait désormais partie des programmes scolaires, dans l’enseignement primaire peu d’instituteurs y sont sensibilisés et il faut souvent attendre le collège ou le lycée pour avoir des professeurs documentalistes formés à l’EMI.
De plus en plus, des outils variés sont développés par le CLEMI, le Réseau Canopé (réseau de formation des enseignants), les MJC qui proposent de nombreux supports vidéos et écrits. C’est le cas par exemple de la mallette Des-Infox créée par la Confédération des MJC de France et qui propose des ateliers clé en main à mener avec des collégiens.
Surtout, l’EMI pour être attractive se doit d’être participative et horizontale. Qu’il s’agisse d’une intervention ponctuelle ou d’un cycle de plusieurs séances, être dans « le faire » est le meilleur moyen de capter l’attention d’un public souvent jeune. Jeux de rôle, ateliers collaboratifs, colo Youtube et même un escame game « Traqueurs d’infox » comme celui créé par l’association Les Déclencheurs à destination des jeunes suivis par la Protection judiciaire de la Jeunesse (PJJ).
Une initiation au dessins de presse menée par un dessinateur professionnel a non seulement permis de faire découvrir le monde très vaste de la caricature et du dessin engagé, mais a révélé les talents et centres d’intérêts des collégiens lors d’un projet à Vénissieux, en banlieue lyonnaise.
L’un des facteurs de réussite des projets consiste souvent à partir des jeunes eux-mêmes, de s’appuyer sur leurs envies et usages. Ainsi, à Vaulx-en-Velin, la résidence portée par l’association Entre les lignes (AFP et Le Monde) avait pour ambition de créer un média scolaire sur Instagram. La démarche consiste à ne pas adopter une posture descendante, mais au contraire d’utiliser les codes des jeunes et des réseaux sociaux.
Dans ces différents projets, les éducateurs remarquent qu’en sortant du cadre scolaire, les rôles peuvent s’inverser : les élèves d’habitude discrets ou « perturbateurs » deviennent moteurs et se trouvent valorisés dans le groupe.
Faire de l’éducation aux médias un socle d’inclusion
Nous nous sommes particulièrement intéressés à la façon dont l’EMI est dispensée auprès de publics dits « éloignés » de la fabrique de l’information et des médias, et plus largement des publics parfois exclus ou mal insérés au sein de la société. Des ateliers menés en prison ou auprès de jeunes scolarisés en quartier populaire, comme à Vénissieux dans le Rhône ou dans les quartiers Nord de Marseille ont montré que de nombreux projets permettent de renverser le stigmate : au lieu d’être ceux dont on parle – souvent négativement – dans les médias, ils deviennent acteurs.
Dans ce même but, certains exemples sortent un peu du cadre classique des ateliers d’EMI : c’est le cas du projet radio d’une classe ULIS en Isère et du Chantier, radio dont les programmes sont produits par des salariés en chantier d’insertion à Clermont-Ferrand. Faire participer ces publics à la production médiatique, et non plus seulement les mettre en posture de consommateurs, permet de renforcer l’inclusion de ces personnes – dans leur milieu scolaire, avec leurs pairs, en entreprise, dans la société -, en servant d’outil : apprentissage de la prise de parole en public, confiance en soi, élaboration d’idées…
Ces initiatives portent également un projet militant : casser l’homogénéité et produire un autre journalisme qui donne à entendre des voix inaudibles et différentes des visions portées par la majorité des rédactions. Un salarié en insertion, membre du Chantier, dira à ce propos : « c’est une façon de démocratiser la parole ».
C’est ce que d’autres acteurs appellent le « journalisme participatif » dans une démarche d’éducation populaire, comme celle menée par le mensuel satirique le Ravi en PACA qui intervenait auprès des MJC, dans les quartiers populaires et dans les centres sociaux, pour donner aux habitants la possibilité de s’emparer de leur propre média.
Le défi de l’éducation aux médias pour ceux qui l’enseignent
L’éducation aux médias est aussi un défi pour celles et ceux qui la prennent en charge et l’enseignent. Dans le cadre scolaire, elle dépend souvent de la volonté propre des enseignants et s’apparente alors à de l’EMI de « projet ». Certains vont ainsi solliciter des financements ou monter des projets en collaboration avec d’autres acteurs de l’EMI (associations, MJC..). D’autres vont s’appuyer sur une particularité au sein de l’établissement, comme à Lyon dans un collège du 5ème arrondissement qui mène depuis quatre ans un projet de « classe coopérative » interdisciplinaire ; dans ce cadre, deux enseignantes de Sciences et vie de la Terre et de physique-chimie ont choisi de consacrer des heures de classe à l’éducation aux médias.
Elles peuvent s’appuyer sur le travail et le soutien des professeurs documentalistes, considérés comme « enseignants et maîtres d’œuvre de l’acquisition par les élèves d’une culture de l’information et des médias » d’après la circulaire de missions du 28 mars 2017. Pour autant, dans les faits, de nombreux enseignants vont hésiter à se lancer dans des projet d’EMI, faute de temps ou de formation.
Que font les journalistes ?
Enfin, l’EMI apparaît pour de plus en plus de journalistes, généralement pigistes, comme un revenu complémentaire au cœur du métier. Ces dernières années, les résidences de journalistes et photographes se sont en effet multipliées, sous forme d’appels à projets portés par un ou plusieurs professionnels. Présentation du métier, coulisses d’une rédaction, fabrique de l’information et exercices pratiques de « débunkage » des fake news ou des montages photos sur Internet peuvent s’accompagner de projets concrets (émission/reportage radio, article de presse…).
Ces résidences ne peuvent toutefois se passer d’une réflexion critique sur le métier de journaliste. Elles sont au contraire l’occasion pour les professionnels de questionner le rôle des médias dits « traditionnels », les postures militantes et la fameuse question de « l’objectivité journalistique », la déontologie du métier ou encore le choix des sujets traités.
Si l’éducation aux médias peut apparaître comme un complément de revenu pour les pigistes, il n’y a pas suffisamment de rédactions qui s’engagent pleinement dans l’EMI. Contrairement aux journalistes de Rue89Lyon, trop peu répondent présentes aux sollicitations.
Au sein de notre petit média indépendant, nous avons fait de l’éducation aux médias un des axes de notre ligne éditoriale. Nous intervenons régulièrement auprès des publics PJJ et en lycées professionnels comme au LP Cuzin de Caluire. Nous travaillons également avec les adultes, à travers le projet « Quartiers connectés », où nous associons les habitant·es à la production de l’information.